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 Dernières mises en ligne

"Hemlock" de Gabrielle Wittkop (Quidam éditeur)

Voici une lecture – et elles ne sont pas si nombreuses – dont on sort modifié. On a affaire à un texte qui vous empoigne pour ne plus vous lâcher, qui vous infiltre (au sens presque policier du terme), qui vous retourne, vous met à sac et vous essore pour votre plus grand bonheur. (suite)

"Neiges intérieures" d'Anne-Sophie Subilia (Zoé)

C'est un texte si pur, à ce point ciselé, qu'il semble taillé à même la mer de glace que la narratrice va longer. Jeune architecte, elle embarque, en effet, aux côtés de trois collègues (deux hommes et une femme) sur un voilier qui va frayer aux confins du cercle polaire. Le but de l'expédition : élaborer une cité alpine après avoir pratiqué une immersion en milieu glaciaire. Mais ce qui touche au dessein professionnel proprement dit occupe, in fine, assez, peu de place. L'objet du texte est d'ailleurs. Il s'agit, pour l'auteur, de saisir, avec un regard affûté, d'une précision redoutable, ce qui se joue dans ce huis-clos, entre les six personnages confinés, quarante jours durant, en milieu fermé. (suite)

"Après la nuit" de Marius Olteanu

Etrange opus que ce premier film roumain qui se présente à rebrousse-poil et semble presque cumuler à dessein les caractéristiques rébarbatives. Filmé en format carré dans les deux premières parties et constitué en triptyque, ce long-métrage s'attache à observer le délitement d'un couple aux abords de la quarantaine. Chacun des deux membres du couple est filmé séparément avant qu'ils ne se retrouvent dans la troisième partie. (suite)

"Conversation à la Catedral" de Mario Vargas Llosa  (Gallimard)

 En apparence, il s'agit d'un ouvrage intimidant, éventuellement fastidieux, puisqu'il brasse, au milieu du vingtième siècle, sur une dizaine d'années, les événements prégnants et les mutations sociales qui ont scandé l'histoire du Pérou. Pour autant, on ne trouve, dans ce roman rien de didactique. Il se présente d'abord comme une conversation à bâtons rompus entre le jeune Santiago Zavalta et l'ancien chauffeur de son père, Ambrosio. Ce dialogue constitue la trame, le fil rouge de la narration. (suite)

"Temps profond. Essais de littérature arrêtée" de Denis Roche (Seuil)

Voici que , près de cinq ans après sa mort, nous parvient un texte de Denis Roche qui se distingue par sa force et frappe par sa singularité. Il s'agit de son journal qui couvre les années 1977 à 1984. Denis Roche est alors célèbre à de multiples égards et célébré sous maintes formes (en tant que photographe d'avant-garde, écrivain expérimental, éditeur de premier plan...). Pour autant, il ne se repose sur aucun laurier mais poursuit inlassablement sa quête de dispositifs inédits, d'une langue de pointe, d'images authentiques, le tout au fil d'une pensée tranchante qui ne transige sur rien. (suite)

"L'amour du loup et autres remords" de Hélène Cixous (Galilée)

Face à un tel livre, qui déborde de langues, qui déborde la langue, la tentation est grande de demeurer coi. La stupéfaction le dispute à l'émerveillement au sortir de cet ouvrage qui est un précipité chimique innommable, une équation verbale sans équivalent. Le loup est la figure principielle, archétypale qui file le long du recueil, mais il est rejoint et accru par d'autres animaux qui sont autant de prismes ou de prises possibles pour accrocher quelque chose des abîmes auxquels se collette incessamment Hélène Cixous. (suite)

"Le bikini de Caroline" de Kirsty Gunn (Christian Bourgois)

C'est un texte à faire tourner la tête, une fantaisie littéraire en forme de facétie, une bascule sur balançoire, un tournoiement et piquetage mental qui, véritablement, donne le tournis mais aussi le sourire. Dès l'abord, l'argument est étrange. On est face à deux amis d'enfance qui se retrouvent à l'issue de plusieurs années de séparation. Il s'agit d'Evan Gordonston lequel, après avoir vécu plusieurs années aux Etats-Unis, revient en Angleterre et reprend contact avec sa vieille amie Emily. (suite)

"Bêtes féroces, bêtes farouches" de Karen Köhler (Actes Sud)

Neuf nouvelles comme autant d'astéroïdes, des météores littéraires. Une écriture comme on n'es trouve pas. Pas avec cette rapidité d'exécution, cette précision du trait, cette économie de moyens alliée à un sens aigu de la poésie celée dans les choses triviales. (suite)

"Le bleu du ciel est déjà en eux" de Stéphane Padovani (Quidam éditeur)

Ce sont des textes délicatement soufflés, comme secrètement gonflés à l'hélium et qui, tout de suite, s'élèvent au-dessus de la ligne de flottaison. Un léger déraillement est inscrit, dès l'origine, dès la mise en bouche, dans ces partitions mélodieuses, raffinées, empreintes d'une douce et discrète sensualité. Mais l'exécution est si fluide et subtile, qu'on se laisse déporter sans broncher dans ces territoires qui affleurent à la pointe, très finement dessinée, du réel familier. (suite)

"Les hémisphères" de Mario Cuenca Sandoval (Seuil)

C'est un texte conçu comme le creuset des métamorphoses. Un brassage incessant de formes, visions et sensations exacerbées.  C'est une navigation, minutieuse et hallucinée, entre les figures, les époques, les émotions et perceptions mêlées et contraires. C'est une quête, trépidante, frénétique, sauvage, éperdue, menée par des esprits secoués et désaxés. C'est un texte sous l'empire d'un corps de femme qui conditionne des vies, façonne des destins, déporte, transforme et modèle des corps jusqu'à la difformité, la tératologie. (suite)

"Les petites mains" de Andres Barba (Christian Bourgois)

C'est un texte parachuté, chu du ciel, mais sans être annoncé ou amorti, précisément, par aucun parachute. C'est un entrelacs et une succession de sensations aiguës, un tissage minutieux, point par point, d'un monde dévié, dérivant, mais qui est aussi d'une précision presque douloureuse, d'un réalisme saisissant. L'étrangeté est totale mais elle n'est en rien vaporeuse ou nébuleuse : au contraire, chaque instant, chaque détail sont d'une présence frappante. Et la langue, insinuante, suggestive, mais aussi racée, perçante, rend compte, avec une redoutable inventivité, de cette corrida miniature. Un récit hanté porté par une prose sorcière. (suite)

"Carnet d'une allumeuse" de Lydie Dattas (Gallimard)

C'est un petit précis de lutte incantatoire, le chant, non d'une sirène, mais d'une louve, d'une incandescente croisée de l'Absolu. C'est un texte inclassable, proféré avec véhémence, à la croisée du pamphlet, du poème lyrique, du monologue théâtral. Lydie Dattas arpente des territoires minés, fouille des zones névralgiques. En brossant un autoportrait incendiaire, elle s'attaque à la question brûlante du droit de penser accordé aux femmes. Elle s'insurge contre les poncifs et la tradition millénaire qui dénient aux femmes la faculté de voir, comprendre, savoir à hauteur métaphysique, autrement dit à hauteur d'homme. Une parole étrange, on ne peut plus singulière, qui mérite qu'on lui prête attention. (suite)

"Le labyrinthe d'une vie" de Adam Foulds (Piranha)

C'est un récit qui semble une coulée lente, presque somnolente, et qui avance, trompeur, sous des allures classiques et les atours d'un style gourmé. Mais c'est en vérité un sauvage animal qui cavale à un rythme endiablé. C'est un roman mais le texte a un caractère théâtral par sa densité, sa précision, sa force de percussion. Il y a unité de lieu : tout se déploie dans ou autour d'un asile psychiatrique où couvent, éclosent, se cristallisent de singulières passions. Des personnages hauts en couleurs gravitent autour d'un centre névralgique absent ou pluriel et changeant. (suite)

"Rien  à voir avec l'amour" de Claire Gallen (Rouergue)

Il y a la mer, un rade miteux, une boite de nuit huileuse, une pincée de crapoteux, une mesure de frauduleux, une once de crapuleux. Une femme, Sandra, qui officie là-bas depuis trop longtemps et semble avoir oublié ce qui motive cette persistance. Il y a Samuel, le patron, le tenancier des lieux, présence massive et lasse mais lame dans le regard : redoutable alliage. Il y a l'été revenu et avec lui, Rodolphe qui fut, vingt ans auparavant, le mari de Sandra, le meilleur ami de Samuel. (suite)

"Imagine que je sois parti" de Adam Haslett (Gallimard)

C'est un texte qui désoriente et ne cesse de surprendre avec éclat tout en dessinant la cartographie minutieuse d'une poignante déroute. C'est l'histoire d'une famille étreinte par un mal funeste et dont les membres, diversement touchés, s'efforcent de faire front. C'est une constellation familiale soudée par un risque d'éclatement, un risque atomique et constant. Le récit s'étend sur une trentaine d'années et nous donne à voir, non seulement l'évolution des membres d'une famille, d'une fratrie, mais aussi les différents visages d'un mal chronique pareil à un monstre tentaculaire.(suite)

"Le passé" de Tessa Hadley (Christian Bourgois)

C'est un texte d'allure enlevée, de facture délicate et qui recèle quantité de trésors. C'est un entrelacement subtil entre des destins et des époques. Un feuilletage orfévré. Un récit aux accents presque victoriens et surannés par moments mais qui est aussi résolument moderne et pétille, un peu à la manière des films de Sofia Coppola, d'esquilles et d'éclairs pop. A cette différence près que le caractère vaporeux se double, ici, d'une investigation fouillée et d'une étude de moeurs d'une redoutable précision. (suite)

"Khibula" de George Ovashvili

Voici un film, inspiré d'un destin réel, poignant, et qui tourne à la corrida intérieure, à l'errance mystique. Il s'agit de la fuite de Zviad Gamsakhurdia, président géorgien désavoué, condamné à l'exil par un putsch en 1992. Entouré de quelques indéfectibles, il marche, dans la neige et dans des conditions extrêmes. Dans les montagnes glacées, au fil de sa quête éperdue, il frappe aux portes, dans l'espoir de gagner des hommes à sa cause et de grossir les rangs de ses alliés. (suite)

"L'Alphabet plutôt que rien" (poèmes) de Constance Chlore (Eoliennes)

Les poèmes de Constance Chlore sont des prières païennes, des chants de haute lutte, des chants épiques dans la mesure où ils se font l'écho d'un combat acharné pour élargir le champ de la perception, pour mettre en lumière les acuités et souligner les éclats. Constance Chlore dit la vie, sa pulpe, son tranchant, ses entailles et ses entrailles. Elle dit l'amour, son passage, ses empreintes éblouies, saignantes, meurtries. (suite)

"Pour tout l'or du monde" de David Huddle (L'Olivier)

C'est un roman qui, d'abord, agit comme une coupe de champagne. Les phrases pétillent, éclatent en bulles légères, translucides et distillent une légère euphorie. On croit d'abord avoir affaire à un quintette vaudevillesque, une ronde ou farandole dans laquelle le désir circule entre cinq personnes, cinq narrateurs, successifs et alternatifs. Les protagonistes se livrent à tour de rôle à une introspection lucide, à la faveur d'un épisode critique ou significatif, et l'on voit ainsi le désir et l'amour se déployer dans des configurations diverses, inattendues, dangereuses. L'écriture précise, élégantes, incisive, achève de faire de ce roman un bijou. (suite)

"Va, Toto",  film de Pierre Creton

"Va, Toto!" est un film vraiment à part. Un étrange alliage entre documentaire, journal intime et rêverie sauvage. Le réalisateur s'attache aux relations qui unissent l'homme et l'animal, notamment à travers la figure de Madeleine, une vieille dame qui s'amourache d'un marcassin (le fameux Toto) et développe avec lui une relation très tendre. C'est loufoque mais pas seulement, c'est aussi émouvant, drôle, poignant, et d'une grande justesse. Il y a des vérités perçantes qui pointent à travers l'aspect saugrenu. C'est empreint de sensualité et d'une folle poésie. Les commentaires en voix off sont d'une qualité littéraire invraisemblable, on dirait presque du Proust parfois. (suite)

"Les femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer)" Clemens J. Setz (Actes Sud)

C'est un texte lent dans sa lancée horizontale mais ultrarapide et même supersonique dans ses coupes transversales. Ce sont des coups de sonde, des ressassements et tournoiements obsessionnels qui brassent une matière si riche que l'obsession est sans cesse transcendée. C'est une approche sans équivalent de la folie ordinaire et de la folie extraordinaire. (suite)

"La nuit, la mer n'est qu'un bruit" de Andrew Miller (Piranha)

C'est un livre lent, profond, ondoyant, qui enveloppe dans la même langue fluide les hommes et les éléments. C'est un texte fait de ressacs heurtés et de longues langues d'écume mousseuse. L'opacité et la transparence se le partagent à parts égales. Il est beaucoup question de la mer, de ses lois, ses pièges et ses envoûtements. La mer est une basse continue, une scansion, un thème décliné. Mais le cœur rougeoyant est ailleurs. C'est une femme, Maud, une étrangeté absolue, appréhendée à travers des prismes successifs et qui résiste à toutes les explications. (suite)

"Cœurs silencieux" de Anne Brécart (Zoé)

C'est une histoire d'une simplicité désarmante : une femme revient sur les lieux de sa prime jeunesse et retrouve son premier amour. Mais Anne Brécart déjoue l'évidence apparente et ouvre, à partir de cet argument étroit, un champ d'une profondeur rare. Soit Hannah et Jacob. Ils se sont connus il y a de cela quarante ans et se sont aimés, violemment et mal. (suite)

"Almeria" de Olivier Dubouclez (Actes Sud)

Voici un étrange roman de formation, à la fois classique et marginal, dépaysant et suranné. On se trouve dans le sud de l'Espagne, à Almeria, dans les années 90, mais l'écriture, très soignée, et les résonances de certaines pages nous transportent dans une époque indécidable et intemporelle. Le narrateur adolescent vit dans la fascination de son frère aîné, Rodrigo, dont l'étrangeté, la brusquerie, l'aisance apparente et l'opacité qu'il oppose, le magnétise. Il mène ainsi une existence satellisée, mendiant un signe qui pourrait aller dans le sens d'un possible pacte scellé, traquant les indices qui pourraient élucider ce frère indéchiffrable. Dans le même temps, il s'initie aux féroces douceurs, aux cruelles voluptés et aux avanies du pensionnat. (suite)

"L'un d'entre nous dort" de Josefine Klougart (Actes Sud)

C'est un livre qui déjoue toutes les attentes, qui se joue des balises, des règles et des codes de l'exercice imposé. L'argument qui préside au texte est simple : il s'agit d'une femme, encore jeune qui, à la suite d'une rupture amoureuse, retourne chez ses parents, se réfugie dans le cadre et le cocon de son enfance. C'est aussi un poème hérissé, rugueux, hirsute, comme mal taillé de partout. Une curiosité. Une surprise de chaque instant. (suite)

"Le pays dont je me souviens" de Anne Revah (Mercure de France)

C'est un texte qui parle de conquête, de réappropriation, d'affranchissement, mais sur un mode non pas guerrier et belliqueux mais poétique et même onirique. C'est l'histoire de Philippe qui, au mitan de sa vie, décide brusquement de partir, de rompre avec tout ce qui constituait jusqu'alors les fondements et les conditions de son existence. Plongé dans un état quasi létal à la suite de la mort précoce et accidentelle de ses parents, Philippe a mené, des décennies durant, une existence atone, indiscernable, sans saillie ni aspérité aucune. Un récit en forme de fable, semé d'éclats poétiques et qui se développe au fil d'une langue cristalline, infiniment délicate et enveloppante. (suite)

"Gens de Bergen" de Tomas Espedal (Actes Sud)

C'est un livre de chagrin ouvert. Il procède d'une peine incompensable puisque l'auteur, ayant vécu un grand amour tardif, se voit congédié, à cinquante ans, par la très jeune femme qui avait transfiguré sa vie et sans qu'il ne pouvait plus effectuer le moindre pas. Eperdu de tristesse, il se met, comme on s'alcoolise, à écrire, au fil de ses voyages et humeurs, des fragments qui sont à la fois des dérivatifs et des occasions de verbaliser ce qui l'étreint.Un texte hors normes qui déconcerte et captive. (suite)

"Cent jours de pluie" de Carellin Brooks (Les Allusifs)

C'est un texte sur la lancinance. Temporelle, météorologique, affective. La narratrice semble prise dans une boucle temporelle, un cycle obsessionnel, et soumise à des répétitions mortifiantes et mortifères. Elle se trouve, à Vancouver, aux prises avec une situation douloureuse Séparée de sa compagne, M. (désignée par cette seule initiale), elle doit faire face à des difficultés financières, à la précarité qui la menace, mais aussi aux querelles incessantes qui l'opposent à ladite M., sans compter qu'elle doit composer avec le père biologique de son fils. Un texte qui s'égale à une mélodie hypnotique et qui est aussi une quintessence de la tristesse et de la difficulté d'être. (suite)

"C'est pourquoi les jeunes filles t'aiment" de Ariel Spiegler (Editions de Corlevour)

Ariel Spiegler pratique une poésie de la déroute et du cisaillement. Elle oscille entre l'incisif et le tendre, le culotté, le cocasse et le poignant et elle bascule de l'un à l'autre sans préavis. Sa poésie peut avoir des accents romantiques, élégiaques et rêveurs mais elle peut être, aussi, très concrète, crue, mordante, attachée aux détails qui accrochent un regard peu rompu aux approches convenues et réductrices. (suite)

"Fergus, année sauvage" de Jaunay Clan (Les Allusifs)

C'est un texte qui cavale, galope et file au rythme de la lumière. Celle qui fuse dans l'esprit du narrateur et qui est d'une nature étrangère à nos lieux communs.Celui qui raconte, c'est Fergus, un garçon qui est aussi une comète. On  l'a placé dans un centre pour adolescents désaxés. Ce lieu, nommé Beauséjour, accueille des esprits singuliers et vibrants, inassimilables dans le monde tribal et trivial. Ces âmes trop vives portent sur le monde un regard décalé et poétique. (suite)

"Douce nuit" de Ragnar Hovland (Les belles lettres)

C'est un roman en forme d'escroquerie charmante, de pierre lunaire ou de douce divagation qui égare plaisamment. C'est aussi une énigme et un piège qui crochète par surprise. C'est une mosaïque étrangement agencée, un mobile prismatique et fascinant. Le narrateur est un écrivain aux allures nonchalantes, au parler désinvolte, qui navigue entre passé et présent et entre les diverses cases, très compartimentées, de sa vie. (suite)

"Les souhaits ridicules" de Pauline Klein (Allia)

Pauline Klein est une facétieuse et une rouée. Elle s'amuse des codes qu'elle déconstruit et elle orchestre un subtil et espiègle roman de désapprentissage. En s'appuyant sur une scène fondatrice de son enfance (la perte traumatique d'une boussole offerte par un petit garçon aimé), la narratrice conduit son récit au fil d'une désorientation qui va s'aggravant. La perte de la boussole causa une crise allergique contraignant la protagoniste à n'investir, désormais, que des territoires familiers et précisément quadrillés. L'inconnu, la surprise, l'étrangeté sont proscrits, elle n'appréhende plus du monde qu'un périmètre étroit et contrôlé. (suite)

"La distance de fuite" de Catherine Safonoff (Zoé)

On est heureux de retrouver l'écriture buissonnière de Catherine Safonoff, ses voltes et rapines, ses trésors de contrebande, sa voix saline, râpeuse, haletée, ses saccades tour à tour exaltés ou abattues, ses longues périodes inspirées, azimutées, son inquiétude vibrante qui tout imprègne. Le tout est restitué dans une langue hirsute, écorchée et avec une élégante et minutieuse précision.Un livre d'une rare, d'une totale humanité. (suite)

"Gestuaire" de Sylvie Kandé (Gallimard)

C'est une langue chargée d'histoire et de sensations brutes que celle qui anime "Gestuaire" recueil de Sylvie Kandé, langue scandée, incantatoire, qui charrie une vie océane, battante, inassignable. Ce sont des instants chapardés dans le vif des courses, des fuites, des fêtes, improvisées ou non. C'est une esquisse et un combat pour que vive la note plus haute, pour que se dresse la vie verticale. Une langue opaque qui étincelle, qui enchante inquiète et trouble comme se doit de le faire toute grande œuvre. (suite)

"Soudain, j'ai entendu la voix de l'eau" de Kawakami Hiromi (Philippe Picquier)

C'est un récit tout en lignes subtiles, ténues, presque estompées.La narratrice, revenue sur les lieux, chargés, de son enfance, restitue une généalogie des plus étranges, un roman familial composé d'enchevêtrements inextricables, fondé sur des secrets jamais levés. Au fil des souvenirs exhumés apparaissent les figures saillantes qui, peu à peu, se dressent et se précisent. D'abord Ryô qui est le frère de Miyako, la narratrice mais aussi son seul et impossible amour véritable. Puis leur mère, prématurément disparue, personnage fantasque, discrètement flamboyant, qui magnétisait irrépressiblement tous ceux qui croisaient sa route. Le père, lui, est une silhouette plus floue, une personnalité plus indécise.Une ode poignante à la déglingue féconde des familles folles.(suite)

"Le silence n'est plus à toi" de Asli Erdogan (Actes Sud)

Par une cruelle ironie du sort, le recueil d'Asli Erdogan paraît alors même vient tout juste d'être libérée de prison (le 29 décembre 2016). Cette romancière et journaliste turque a, en effet, purgé une peine de plus de quatre mois et le chef d'accusation qui pesait contre elle était le suivant : elle appartiendrait à une organisation terroriste pour avoir publié des chroniques dans un journal pro-kurde...Comme remparts et bastions de résistance elle convoque, entre autres, la littérature, la poésie qui sauvent, au moins provisoirement, du désespoir. (suite)

"Le dernier livre des enfants" de Ariane Dreyfus (Flammarion)

Selon son propre aveu, Ariane Dreyfus se risque, dans ce recueil, hors de ses brisées, de son champ exploratoire attitré. Elle ne cherche plus à dire les soulèvements du corps et de l'amour adulte, elle se penche sur les territoires de l'enfance et de l'adolescence à son orée, saisie dans des premiers frémissements. Deux motifs s'entrecroisent, deux gisements sont sollicités dans lesquels elle puise alternativement. D'une part, l'intrigue du roman de Richard Hugues "Un cyclone à la Jamaïque" lequel met en scène des enfants embarqués par des pirates et, par ailleurs, des adolescents qui voient éclore leur premier amour. (suite)

"Je crois qu'un jour" de Fabrice Guénier (Filigranes éditions)

C'est un recueil de courts textes qui voient s'afficher, en regard de chaque fragment, des photographies en noir et blanc lesquelles semblent des dessins tracés au fusain qui laissent dans leur sillage des traînées poudreuses et rêveuses. Ce sont des instants prélevés sur la tristesse ordinaire des jours et, semble-t-il, la radioscopie d'une rupture amoureuse, mais comme perçue à travers une buée et restituée avec une si grande délicatesse qu'on pénètre dans cette matière poétique à pas de loups, intimidé par l'élégance et la douceur de ce désespoir ouaté. (suite)

"Beckomberga" de Sara Stridsberg (Gallimard)

C'est une approche sans précédent d'une matière tragique. C'est une matière veloutée et vaporeuse posée sur une chair saignante. C'est un triple hommage que déploie ce texte: au père, funambule de la folie, à l'établissement psychiatrique dans lequel il séjourna de longues années, et aux soignants comme aux patients qui l'entourèrent et qui sont saisis dans toute leur poignante humanité. C'est aussi un hymne à l'enfance confondue avec Beckomberga, l'asile suédois qui accueillit et pansa l'âme divagante du père. (suite)

"L'homme au lion" de Henrietta Rose-Innes (Editions Zoé)

C'est un texte abrasif qui s'avance sous des dehors soyeux. On peux croire qu'on a affaire à un roman traditionnel, une narration classique, mais l'illusion se dissipe vite, elle vole en éclats, pulvérisée par les glissements de sens, les ellipses, les gradations imperceptibles et les époques entrechoquées. Stan, le narrateur, est un homme jeune qui traîne sa vie sans trop savoir qu'en faire. Son seul ancrage s'appelle Elyse, comédienne de son état, somptueuse, spectaculaire, et quelque peu castratrice qui a, incompréhensiblement, jeté son dévolu sur lui. (suite)

"Jeux de vilains" de Iben Mondrup (Denoël)

Voici un texte qui se déploie au fil de voix successives mais ce n'est pas un roman polyphonique classique. Car lesdites voix rendent moins compte d'un temps qu'elles couvrent que d'un espace qu'elles quadrillent et s'emploient à apprivoiser. Soit une famille danoise qui débarque sur une île aux confins du Groenland. Les trois enfants prennent la parole à tour de rôle et disent, chacun à leur manière, la lutte qu'il faut mener pour exister sous ce ciel de glace et parmi les autochtones à la peau plus foncée que la leur. Ce texte s'écrit au fil de mots en apparence usuels, ordinaires, mais qui sont agencés de manière telle que les paresseuses habitudes sont bousculées et les perceptions révolutionnées. Un tour de force doublé d'un enchantement. (suite)

"Les chemins contraires" de Mariette Navarro (Cheyne éditeur)

C'est un texte comme une battue rageuse. Un texte où les mots se percutent et les temps se télescopent. C'est une adresse impérative, une succession d'injonctions, déguisées en questions,  mais péremptoires, toujours, et castagnées. C'est un texte qui exige et n'accorde pas de répit. C'est  un état des lieux accablant auquel succède une envolée allègre, solaire et jubilatoire.Une lecture salutaire en ces temps délétères. (suite)

"Gare d'Osnabrück à Jérusalem" de Hélène Cixous (Galilée)

C'est un livre d'heures nocturnes, presque posthumes, et qui, pourtant, délivre une étrange et puissante lumière. C'est le compte-rendu d'une quête, d'un voyage à caractère mystique et mythologique. C'est un pacte de haute exigence conclu avec soi-même et avec la mémoire vive d'une lignée meurtrie car Hélène Cixous, à travers ce texte, se "rend à un ordre venu de sa plus haute antiquité intérieure". C'est Jérusalem et Osnabrück, pôles névralgiques et pierres angulaires, villes confondues, visées par le même élan rageur et réparateur. (suite)

"Le Détrônement de la mort" de Hélène Cixous (Galilée)

Hélène Cixous a écrit, avec "Le Détrônement de la mort", autrement intitulé "Journal du Chapitre Los", un antécédent, une pièce liminaire apportée postérieurement au dossier dudit "Chapitre Los". Lequel "Chapitre Los" consistait en une remémoration, on ne peut plus vivace, d'une période amoureuse chargée, dense, cataclysmique. Le présent "Détrônement de la mort" se distingue en ce qu'il s'est imposé comme nécessaire mise au point et au jour, le 'Chapitre Los" à peine achevé, et en ce qu'il concentre sur la figure de l'amant Carlos. L'amant mort qui irrigue ces pages d'une force de vie peu commune. (suite)

"Point d'autre livre que le monde" de Leah Hager Cohen  (Christian Bourgois)

C'est une quête, non pas amoureuse mais aimante, aimantée, une enquête déchirée, d'un type très particulier, qui court le long de ces pages. C'est un amour en forme de dédale et de miroir déformant. C'est une exploration, gracieuse, pénétrante et tendre, des conditions et des limites de la liberté. C'est un ballet ambigu et envoûtant qui met en scène deux duos, deux binômes composés d'un frère et d'une sœur. Des alliages se produisent entre les fratries, des pactes se scellent qui rendent la situation confuse et presque inextricable. (suite)

"Rivière fantôme" de Dominique Botha (Actes Sud)

C'est un livre qui donne la nostalgie d'une enfance qu'on n'a pas eue. Tout baigné qu'il est du sang de la perte, frappé d'un sceau inconsolable. Mais avant la mort annoncée ou pressentie, il y eut une vie. Une enfance, une adolescence qui furent, elles, somptueuses, perfusées de beauté à n'en plus finir. Ce texte c'est, sculpté par Dominique Botha, le tombeau de Paul Botha, son frère génial et suicidé. Mais c'est aussi une longue litanie incantatoire qui célèbre les splendeurs d'une enfance en Afrique du Sud, au sein du Veld et d'une nature luxuriante. (suite)

"Un été polaire" de Anne Swärd (Buchet-Chastel)

C'est un livre à l'envers. Le commencement exhale déjà un sauvage parfum de dénouement. Tout parait scellé, comme poignardé par une lumière post apocalyptique. C'est aussi un livre en diagonale: tout advient de biais et l'étrangeté qui baigne chaque page brouille tous les repères. C'est Kristian, le fils prodigue qui, après avoir longuement déserté, regagne le bercail et retrouve sa demi-sœur, Kaj, jeune bâtarde auréolée et potentiellement radioactive. Kaj est le pivot incertain de ce récit flou, flottant en eaux troubles. Kaj, demi-sœur, semi-sorcière qui exerce sur Kristian pouvoirs et fascination et semble opérer, sur lui et les autres, par d'invisibles passes magnétiques, de longs envoûtements. Kaj, bancale, décrochée, féroce, enfantine, animale, imprenable, irrésistible. Redoutable d'innocence torse. (suite)

"Pense à respirer" de Janice Galloway (Cambourakis)

Ce n'est pas un livre, c'est un territoire saignant, un pan de vie à vif, un cri, mais dansé et virevolté. C'est un territoire hurlant étrangement quadrillé, composé de pas de côté où le pire peut devenir sautillant. C'est un bloc de vie arraché à l'expérience du deuil. C'est un thrène qui casse tous les codes du chant funèbre, qui flirte dangereusement avec la cocasserie, l'incongruité, et n'en est que plus poignant. C'est un patchwork, une mosaïque bourgeonnante, un texte taillé et couturé de partout, constitué de ressassements, de descriptions à fleur de peau, de listes et énumérations, de dialogues ahurissants (il s'agit, le plus souvent, d'entretiens abasourdissants avec les psychiatres et thérapeutes), de coupures de presse, de fragments d'horoscopes...(suite)

"Les filles au Moyen-âge" de Hubert Viel

C'est un feu d'artifice en noir et blanc. Une merveille pyrotechnique dans un cadre sulpicien. C'est Michael Lonsdale en grand-père conteur, idéal et inspiré, qui gauchit, ou plutôt rectifie l'histoire des filles au Moyen-âge. Michael Lonsdale qui, en faveur de ses petites-filles adorées, réinvente la médiévale condition féminine. C'est un conte cocasse, loufoque, infiniment poétique et incisif, interprété par des enfants bougrement talentueux. (suite)

"Comos" de Andrzej Zulawski

C'est un ovni étincelant, un météore fou dont la combustion s'effectue sous nos yeux, une queue de comète incendiaire qui embrase l'écran et l'esprit du spectateur. Lequel oscille entre incrédulité, éblouissement, abasourdissement et ravissement au sens plénier. Il y a une extravagance savoureuse, une loufoquerie sans frein, un rythme endiablé et de constantes étourdissantes et ébouriffantes trouvailles. Il y a des jeunes gens beaux comme des médailles et des aînés (Sabine Azéma et Jean-François Balmer) inouïs, vibrionnants comme de jeunes gandins. (suite)

"Quelque chose approche" de Christiane Veschambre (Les Arêtes éditions)

Ce sont des textes de ballerine et de ballet. Des textes étirés et de pointes. Des textes sur la pointe des pieds. Elégants, élancés, et qui ne touchent pas terre. Ce sont des textes comme des battements d'antennes, des empreintes d'élytres, des traces délicates, arachnéennes, de pattes impondérables. Ce sont des vers comme en passant (et pourtant minutieusement ouvragés et même orfévrés) qui disent sans jamais appuyer mais saisissent le cœur et frappent immédiatement la conscience. (suite)

"Des mots jamais dits" de Violaine Bérot (Buchet-Chastel)

Voici un conte gothique tamisé, une forme de tragédie  classique filtrée par le "on" indistinct qui la rapporte et qui inclut aussi bien le lecteur que le chœur antique, témoin et arbitre du carnage. C'est l'histoire d'une enfance singulière qui fore et déforme l'héroïne. Elle est le fruit d'un amour hors- normes, presque contre-nature. Son père et sa mère, en effet, se vouent une passion extrême, absolue. Le père, en particulier, élève sa femme au rang d'icône et d'idole qu'il vénère. Cette adoration exclusive aurait dû, en toute logique, exclure aussi l'enfantement, la descendance. (suite)

"Extrêmes et lumineux" de Christophe Manon (Verdier)

C'est un texte enchâssé, sourdement incantatoire et lancinant. Des fragments juxtaposés, de sensations et de souvenirs, comme les blocs arrachés d'une banquise mémorielle. C'est une seule phrase, litanique, scandée, lyrique, qui se divise en fractions aléatoires et prend des virages imprévisibles. Ces fragments se succèdent et se rattachent les uns aux autres par un procédé singulier : la voix profératrice sectionne un mot à l'issue d'un lambeau de texte et la part manquante dudit mot constitue le début de l'extrait suivant, lequel développe un tout autre sujet. (suite)

"Le voyage infini" de Malcolm Lowry (Buchet-Chastel)

Y a-t-il un texte de Malcolm Lowry qui ne nous soit pas parvenu miraculé, ayant réchappé, d'extrême justesse, aux flammes ? Il n'en est pas, en tout cas, qui ne soit brûlant et cela, bien que sa prose soit une drôle de pyromane, une incendiaire d'un genre particulier, qui gèle sensations et sentiments tout en les exacerbant. Il en est ainsi dans "Le voyage infini", texte inachevé et récemment exhumé. "Le voyage infini" se présente, a priori, comme un roman de formation classique qui procède et progresse par vagues discursives enveloppantes, entêtantes, irritantes parfois. (suite)

"Corollaires d'un vœu" de Hélène Cixous (Galilée)

Hélène Cixous nous convie, directement et sans ciller, au cœur du mystère. Elle place sur un plan d'égalité les vivants et les morts et dialogue de la même façon avec les uns et les autres. Plus précisément, elle nous initie à ses morts tant aimés qui irriguent profondément, et toujours davantage, sa vie. Se reportant à ses cahiers des années 60 et au-delà, elle fait surgir une époque, des silhouettes, une atmosphère, trépidante, des amours, brûlantes, des amants et des amantes. (suite)

"De rage et de douleur monstre" de Térézia Mora (Piranha éditions)

C'est un texte fracturé, scindé sur toute sa ligne, toute sa longueur, et sur tous les plans. Partagé, distinctement, entre deux voix, deux genres, deux temps. Entre le masculin et le féminin, le passé et le présent et, surtout, entre la vie et la mort. Pour autant, il ne se présente pas comme "Le livre brisé" de Serge Doubrovski car la mort n'advient pas en cours d'écriture, elle est inaugurale, présente dès avant la parole, ou plutôt, génératrice de la parole affolée. Affolée, fragmentaire et affûtée. Que la mort soit préalable à l'écriture, à la profération, ne rend pas le texte moins saisissant. (suite)

"Giacomo Joyce" par James Joyce (éd. Multiple), traduction par Georgina Tacou

C'est un fruit sortant de l'abîme. Fruit acide et qui agace la faim. Et qui pourtant forme une courbe pleine, un tout complet. C'est une brève transe rythmique, une ivresse musicale scandée, orfévrée et dédiée. C'est une impossibilité amoureuse, existentielle, transmuée, sublimée et, dans une mesure certaine, conjurée par l'alchimie joycienne. L'argument est classique, le thème quasiment éculé puisque nous voici face à un Joyce aimanté, érotiquement requis par l'une des jeunes étudiantes à qui il enseignait l'anglais entre 1912 et 1914 alors qu'il vivait à Trieste. (suite)

"Comme Ulysse" de Lise Charles (P.O.L.)

Ceci n'est pas un roman, c'est une facétie majuscule, une provocation incessante et trépidante qui court sur près de quatre cent pages. C'est une voix mordante, extraordinairement frondeuse et polissonne, qui s'attaque, l'air de rien, à une forme surannée, une version obsolète et littéraire du rêve américain (un rêve américain aux accents victoriens et germanopratins) lequel rêve se retrouve débité en tranches, troué au vitriol du verbe corrosif et de la verve incendiaire. C'est un précipité d'effronterie pure, un traité d'insolence sans frein. (suite)

"L'oragé" de Douna Loup (Mercure de France)

C'est un texte pétri dans la chair nue, infusé à même la peau,  brassé au cœur de la langue. Un texte sur une langue en train de s'inventer et qui s'invente à mesure. Un texte qui s'irrigue à la source alchimique qui préside aux découvertes et créations majeures. Douna Loup prend et tient le pari de retracer le destin de deux figures d'exception, deux écrivains malgaches qui sévirent au cœur du XXème siècle. Il s'agit de Jean-Joseph Rabearivelo (dit Rabe) et d'Esther Razanadrasoa, son aînée de dix ans. Et Douna Loup sait dire comme personne la libre percée des peaux et des mots, les redditions victorieuses signées avec le sang. (suite)

"Cordélia, la guerre" de Marie Cosnay (éditions de l'Ogre)

Voici un texte multiple et dévoré, colonisé par sa propre surabondance. C'est une longue psalmodie heurtée, épelée dans une langue scandée et hantée. C'est une joyeuse cavalcade, aussi. Un espace quadrillé, une dramaturgie bousculée, un espace-temps éclaté, et des personnages projetés comme des éclats de rire. C'est donc un texte aux accents mythologiques et tragiques et c'est aussi une épopée incendiaire et cocasse qui, facétieusement, se joue des codes qu'elle reproduit. Une lecture euphorisante, un hymne éblouissant aux ressources inépuisables de la littérature. (suite)

"Une fille est une chose à demi" de Eimar Mac Bride (Buchet Chastel) (traduit par Georgina Tacou)

Voici un récit comme un choc thermique, comme une hydrocution, comme une implacable insolation ou un uppercut dont les ondes de choc se propagent page après page et secouent sans merci le corps entier. Le corps du texte comme celui du lecteur. Et c'est un texte dont on sort dans état de saisissement si grand que les mots font défaut pour qualifier ce qui s'est produit. Car ce texte, c'est d'abord un auteur et une langue. (suite)

"Au café du Rendez-vous" de Ingrid Winterbach (Phébus)

Dans ce texte, on entre sans préambule, on est tout de suite comme chez soi. De plain-pied, immergé ou plutôt aspergé, éclaboussé de perceptions aigües et multiples. On est comme chez soi sauf qu'on est aussi , et dans le même temps, dérouté, expulsé de l'évidence. Car une étrangeté envoûtante règne dans ce récit, une étrangeté sans équivalent connu, moite, poisseuse, languide, voluptueuse et entêtante. Ce sont des vies qui se frôlent, se cognent et parfois explosent en plein vol. Des vies complexes, enchevêtrées, dont la matière charnelle, fibreuse, énigmatique, est restituée avec un art consommé et une acuité confondante. (suite)

"Le bonheur comme l'eau" de Chinelo Okparanta (Zoé)

C'est un bouquet d'instants recueillis et reliés, un bouquet subtil, délicat, qui exhale un parfum secrètement vénéneux. Ce sont des vies difficiles et chahutées, cognées, brinquebalées, entre le Nigéria et les Etats-Unis. Ce sont de douloureuses quêtes d'identité et d'appartenance. Sexuelle, originelle, ethnique. C'est le mirage américain à l'épreuve de "la vraie vie", des aspirations et projections démesurées. C'est une écriture à la fois ciselée et enveloppante pour dire d'éternelles et cruelles vérités chaque fois trempées dans un bain d'extrême singularité. C'est une écriture souvent circulaire et, de ce fait, hypnotique, qui explore les parois et recels d'une impasse avant de nous renvoyer, in fine, à l'impossibilité inaugurale. (suite)

"Lac" de Pascal Rambert (Les solitaires intempestifs)

Ce sont des voix qui montent, qui semblent surgir des limbes mais qui sont tout sauf spectrales : elles sont, au contraire, très sensiblement charnelles, charnues et habitées. Ces voix sèment le trouble, elles distillent l'inquiétude et l'incertitude en cela qu'elles sont tout ensemble floues, vaporeuses, et précises, d'une découpe acérée, et elles sont aussi martelées et même dardées. C'est un crime inexpiable, une mort incompensable. C'est, au bord d'un lac et entre les branchages, le corps retrouvé de Thibault, corps mort catalyseur de tous les désirs, de toutes les fulminations. (suite)

"Nous le temps l'oubli" d'Isabelle Lévesque (L'herbe qui tremble)

Ce sont des textes à bout portant et comme des balles en plein cœur. C'est une langue syncopée, une langue faite de détonations successives, une langue dure et dardée qui s’irrigue de longs flux de douceur. C'est une ferveur crue, un lyrisme sans complaisance, sans baisse de régime et sans attiédissement aucun. Ce sont les bords et les bouts calcinés d'une vie consumée dans la passion de vivre et d'aimer. C'est une langue qui décline inlassablement les visages, les corps et scande et psalmodie ses cadences singulières. C'est une langue qui claque, farouche et fière. Une langue d'ellipses, opaque, sombre et touffue et qui pourtant percute avec une force claire, une incisive limpidité. (suite)

"Sous un ciel immense" de Catherine de Saint-Phalle (Actes Sud)

C'est un texte aux floraisons et ramifications multiples. C'est un concentré d'empathie, un précipité d'humanité pure. On est à Melbourne, dans les pas et les pensées d'une narratrice qui épouse étroitement les préoccupations de ceux qui l'entourent. La narratrice est une observatrice étrangère projetée dans le bush australien, immergée dans milieu humain bouillonnant et bigarré. Elle est jardinière chez Kim, une paysagiste maigre et revêche. Autour d'elle gravitent la douce et lumineuse Mitali, l'énigmatique et rude Sarah, la fille de cette dernière, Mary, et la chaleureuse Bernice. Ce gynécée est composé de figures peu communes, toutes secrètement blessées. (suite)

"Nous les vagues" de Mariette Navarro (Quartett)

C'est un texte immédiatement dansé, gymnique, acrobatique. Un texte fait de bonds, cabrioles, virevoltes, de lancers très haut tenus. C'est une langue qui rue, rugit, saccade en cascades mais se déroule, se développe, aussi, voluptueusement, et enveloppe le lecteur. C'est une prosopopée hypnotique, une allégorie furieuse. Mariette Navarro orchestre minutieusement et scande savamment l'obscure chorégraphie des vagues. On dirait qu'elle dispose d'une science médiumnique, qu'elle s'appuie sur un savoir ancestral. (suite)

"Quelques femmes" de Mihàlis Ganas (Quidam éditeur)

Ce sont des instants arrachés et ciselés. Des fragments peaufinés et ouvragés. Des hommages fulguraux et d'une délicatesse extrême. Ce sont des portraits de femmes sous forme de radioscopies supersoniques. Ce sont des précipités poétiques et sensoriels. Des simulacres de nouvelles mais comme concassées au maximum. Des instants, cocasses ou poignants, irrigués de sensualité de rage ou soulevés par une immense compassion. Ce sont des femmes que l'auteur croque subrepticement et avec une délectation des plus sensibles. L'une est saisie dans l'éperdu d'un coup de fil qui zèbre la nuit. Une autre est aux prises avec les affres et la hantise du vieillissement.(suite)

"Le nénuphar et l'araignée" de Claire Legendre (Les Allusifs)

C'est un précis tout à fait singulier, un relevé circonstancié et d'entomologiste. Claire Legendre a proposé en effet de recenser, d'épingler et d'explorer les peurs qui le gouvernent et la cisaillent. Elle s'attelle et s'attaque à tout ce qui la noue sans établir de hiérarchie, sans distinction et sans critère autre que l'intensité de l'angoisse suscitée. Ainsi sont disséquées indifféremment, et avec une égale minutie, la peur de l'avion ou des araignées, la hantise de la maladie ou du séisme amoureux. Claire Legendre procède comme une fileuse, comme un Pénélope habitée, obsessionnelle, par enroulements et déroulements successifs. (suite)

"La femme provisoire" d'Anne Brécart (Zoé)

C'est un récit presque improbable et qui se présente comme tel. Il avance à pas de loup et à voix chuchotée. Une femme, d'un âge indéterminé, voit subitement surgir chez elle un jeune homme dont elle fut, pour ainsi dire, et à la faveur d'un étrange concours de circonstances, la "mère intérimaire" trente ans auparavant. Cette réapparition inopinée réactive, chez la narratrice, tout un pan enfoui du passé: il s'agit de quelques mois qu'elle passa à Berlin, dans les années quatre-vingt, quelques mois décisifs qui modifièrent à jamais le cours de son destin. (suite)

"La fin de l'autre monde" de Filippo d'Angelo (Notabilia)

C'est un roman plein de fracas et de fureur. Un récit au vitriol, corrosif au possible, traversé et comme fortuitement troué par des bouffées de tendresse. Le héros, Ludovico, est un jeune et prometteur doctorant en littérature qui, à l'université génoise, exerce avec brio son esprit caustique, porté sur le paradoxe comme sur les déductions et ramifications improbables. Un beau jour, il débusque une version inédite de la fin de "L'autre Monde" écrit par Cyrano de Bergerac en 1657. La perspective de faire une découverte majeure aiguillonne Ludovico qui se lance dans une quête effrénée. (suite)

"Contre la nature" de Thomas Espedal  (Actes Sud)

C'est un texte tissé d'une trame fragile et déchirable. Ce sont les carnets d'un homme, un écrivain, en pleine déroute amoureuse et existentielle.Le livre débute par une évocation sensible et pénétrante de la passion qui unit Héloïse et Abélard. L'auteur évoque simultanément une rencontre amoureuse insituable, suspendue, entre un homme mûr et une très jeune fille lors d'un réveillon mémorable. La passerelle créée, le passage opéré, relèvent de l'évidence. Les épisodes restitués, réinventés, de la passion entre Héloïse et Abélard sont particulièrement sensuels et suggestifs. (suite)

"Prises" de Stephan Enter (Actes Sud)

Voici un récit qui repose tout entier sur des jeux de miroir et des phénomènes d'écho. Car les protagonistes n'existent que réverbérés les uns dans les autres et, surtout, dans la confrontation avec eux-mêmes, avec celui ou celle qu'ils étaient vingt ans auparavant, quand ils avaient vingt ans. Car c'est essentiellement le temps, ici, en ses multiples déclinaisons et métamorphoses, qui doue les personnages d'épaisseur. Il y a vingt ans, ils étaient quatre, trois garçons et une fille, réunis par leur passion commune pour l'alpinisme. Ensemble ils ont gravi, escaladé, éprouvé la beauté et l'effroi des montagnes. (suite)

"Ester ou la passion pure" de Lena Anderson (Autrement)

C'est une tragédie racinienne scalpellisée, soumise au scanner, concassée dans des éprouvettes. C'est Phèdre quintessenciée, Andromaque réduite à l'os. C'est aussi "Adolphe" de Benjamin Constant, c'est la désastreuse asymétrie amoureuse perçue depuis la lucarne d'Ellénore. C'est une expérience humaine universelle que l'auteur a, pour ainsi dire, menée en laboratoire pour en extraire le principe, les axiomes et postulats de base. Soit, donc, Ester, jeune essayiste et poète suédoise. Femme supérieurement intelligente et exagérément  cérébrale qui, un jour, décréta que sa vie serait tout entière subordonnée aux principes et diktats de la raison pure. (suite)

"Ann" de Fabrice Guénier (Gallimard)

C'est un tombeau vide. Comme si l'écriture du récit opérait instantanément, et à mesure, l'acte de résurrection. C'est un hommage déchirant à une amoureuse morte, prématurément ravie à son amant mais c'est aussi un texte incroyablement léger, ailé, véloce et tournoyant. C'est une expérience universelle mais dont les pointes les plus significatives et les angles les plus aigus vont se loger dans les détails les plus infimes, les plus singuliers, les plus insubstituables. L'Eurydice que le narrateur éperdu tente d'arracher aux Enfers se prénomme Ann et c'est une jeune pute thaïlandaise subitement frappée par une tuberculose ravageuse. (suite)

"Le pas du lynx" de Joana de Fréville (Les Allusifs)

C'est une histoire simple. En apparence. Un homme, une femme. Un peintre, une photographe. Entre eux, via une petite annonce, une alliance conclue, un étrange pacte contracté. Ils conviennent de se retrouver tous les soirs pour danser ensemble et seulement ça : danser le tango sans rien se dire qui permette de les situer, les agriffer, sans rien divulguer qui soit décisif et les assigne. Sans rien éventer des secrets qui tissent leurs fibres. Tout juste apprend-on accidentellement (et parce que les fibres ne peuvent retenir cette vérité saignante) que la jeune femme a perdu un enfant, un fils de quatre ans et, dans la foulée, Svörg son homme éperdument aimé. (suite)

"D'argile et de feu" d'Océane Madeleine (Editions des Busclats)

C'est une trajectoire en forme de ligne ascendante et de percée profonde. C'est une fuite qui se mue en reconquête, en réappropriation de soi. C'est l'histoire d'une jeune femme déshabitée qui revient à elle-même au travers de la marche, d'une rencontre fortuite, corporelle, décisive, et d'une autre rencontre, incorporelle, celle-là, mais non moins incarnée et décisive. Le récit débute par une rupture radicale. La narratrice quitte. Un lieu, un homme, un métier. Tout ce qui constituait ses repères et ses fondements. Elle fait table rase d'un passé qui ne concorde plus avec ce qu'elle est en train de devenir. Elle s'éprouve, se façonne, se définit par la marche qui l'aiguise et la dépouille. Par le feu qui l'anime, par la combustion interne qui la modifie à mesure. (suite)

"Monologue de la boue" de Colette Mazabrard (Verdier)

C'est un récit qu'on pourrait croire de baguenaude et de maraude. Une déambulation à la fois rêveuse et observatrice qui pourrait ne revêtir qu'un caractère ludique. Mais il s'agit aussi d'un périple exploratoire, d'une quête passionnée et secrètement suppliciée menée sur fond d’insatiable curiosité d'autrui. (suite)
Le texte, bien que foisonnant, est pareillement dépouillé et le décapage opéré est de toute beauté.

"Le temps de quelques jours" documentaire de Nicolas Gayraud

Ce sont des voix et des visages. Ordinaires mais traversés par une parole singulière. Ce sont des corps en uniforme et conducteurs d'un flux marginal et déconcertant. C'est le réalisateur Nicolas Gayraud qui a posé et conduit sa caméra au sein de l'abbaye de Bonneval laquelle abrite une communauté de sœurs de l'ordre cistercien de la Stricte Observance. Le réalisateur, perclus de doutes, a approché les sœurs sauvages avec des précautions et des délicatesses de félin.(suite)

"Les hommes n'appartiennent pas au ciel" de Nuno Camarneiro (Lattès)

C'est un texte qui fait entendre trois voix distinctes, alternées. Trois voix qui disent l'étrangeté d'être au monde quand on porte sur ledit monde un regard sans filtre, un regard altéré par nul conditionnement. Trois personnages, trois lieux, trois destins simultanés. Unis sous la voûte céleste et par le passage de deux comètes en 1910. Il y a Karl, jeune immigré qui nettoie les vitres des gratte-ciels de New York et qui est doué ou affligé d'une sensibilité convulsive. Il y a Fernando, rêveur décroché et visionnaire, qui erre douloureusement dans Lisbonne. Il y a Jorge, enfin, jeune garçon livré à son hyperbolique imagination, qui édifie d'ébouriffants mondes parallèles. (suite)

Marie-Paule Nègre à la Maison européenne de la photographie

Marie-Paule Nègre est une humaniste doublée d'une entomologiste. Elle est d'une rare empathie mais c'est aussi un instrument de précision qui enregistre sans faillir ce qui la frappe, la révolte, l'émerveille. Ce qui fait sens et, aussi bien, le défaut de sens, ce qui défie l'entendement. C'est une experte du logos : elle discerne et crée des rapports là où notre œil fatigué et paresseux ne perçoit rien d'autre que le cours ordinaire des choses. (suite)

Théâtre : "L'Annonce faite à Marie" de Paul Claudel - mise en scène par Yves Beaunesne (Théâtre des Bouffes du Nord)

Courez, volez, toutes affaires cessantes, voir "L'Annonce faite à Marie" aux Bouffes du Nord ! C'est de la haute voltige, du cousu main, c'est magistral et c'est bien plus encore. C'est un apologue mystique dont Claudel extrait toute la sève et la saveur sauvages. On est au Moyen-âge, dans un domaine agricole qu'administre impérieusement Anne Vercors, maître incontesté, pater familias qui ne souffre pas la contradiction. Or voici que cet homme rude, façonné par les cycles et les lois terrestres, reçoit l'appel de Dieu. Il décrète qu'il lui faut, impérativement, sans plus tarder, marcher vers Jérusalem. (suite)


"As sweet as it gets" de Michaël Borremans (Palais des Beaux-Arts - Bruxelles - du 22.02.14 au 03.08.14)

Michaël Borremans est un artiste qui semble se jouer des limites et franchir sans cesse les frontières traditionnellement fixées. Ses toiles, empreintes d'une inquiétante étrangeté, procèdent davantage d'un univers mental très singulier que d'une réalité restituée. Dans ce royaume intime, se déploient des figures qui ont quelque chose de fantomatique mais qui sont, en même temps, dotées d'une présence saisissante. Les personnages comme les scènes, ont un caractère fantasmatique mais ils produisent simultanément un effet de réel poignant qui saute aux yeux et prend le spectateur en otage. (suite)

"L’étrange petit chat" de Ramon Zürcher

C’est un film d’effroi ouaté. Un lent dérèglement qui s’insinue imperceptiblement dans les rouages rodés du quotidien. Comme un poison insidieux qui contaminerait, à mesure, tous les personnages en présence et saturerait l’atmosphère. C’est un film qui procède par ruptures successives, de ton et de rythme, mais des ruptures si subtiles et incessantes à la fois qu’elles plongent dans une stupeur émerveillée. (suite)

"Hemel" de Sacha Polak

C'est un film de trouble et d'orage. Un film qui inverse les abscisses et les ordonnées et les territoires respectifs du ciel et de l'enfer. Soit une jeune fille néerlandaise prénommée Hemel (Ciel), véritable oiseau de paradis, tant par son ramage, coloré et incisif, que par son plumage tout de lustrale nudité. Car cette jeune beauté excavée, ravissante et fascinante de maigreur racée est, le plus souvent saisie au cœur, très charnel, de ses ébats multiples, de ses amours plurielles voire exponentielles. (suite)

"Les enfants rouges" de Santiago Amigorena

C'est le film d'un adolescent qui aurait bien vieilli. Un film tout entier au conditionnel mais qui restaure un horizon et propose un possible avenir. Un film qui cueille, en noir et blanc , des jeunes gens de 20 ans en état de crise, c'est-à-dire de vie exacerbée. C'est l'état d'adolescence, l'ardeur adolescente qui perdurent en l'auteur et se distribuent, sous forme d'éclats disparates, dans les jeunes acteurs. Il est question d'amour fou, d'instincts meurtriers, de l'amitié comme geste et fondement politique. (suite)

"Les rencontres d'après-minuit" de Yann Gonzalez

C'est un film nocturne zébré d'éclairs phosphorescents. Une fantasmagorie sombre, radioactive, éblouissante. C'est un jeu naïf et roué autour des archétypes et des allégories. C'est aussi une  cascade de références, de clins d'œil facétieux aux chefs d'œuvres embaumés qui sont ici dépoussiérés et dûment secoués. On croise, en vrac, des Botticelli, des tableaux mordorés de Georges de La Tour, des images de Cocteau, des scènes empruntées à Jacques Demy, des allusions orphiques, des beautés pré raphaéliques, des scènes arrachées aux romans de chevalerie et on peut même détecter des réminiscences de Murnau. (suite)

"La légende de Kaspar Hauser" de Davide Manuli

C’est un film comme une traînée de poudre. Un soulèvement furieux, une sarabande endiablée. Ce sont des corps étreints de rage qui éprouvent leurs limites à travers la danse, la transe, la nudité ou le grimage, l’artifice pousse à bout. C’est un jeu, espiègle et virtuose, sur les sons, les cadences, les figures, les genres, les archétypes. C’est une fantaisie débridée en forme d’hymne à l’absolu dérèglement des sens. Ce sont des personnages comme aimantés, électrocutés, atomiques, atomiquement chargés, qui vont de court-circuit en court-circuit. (suite)

"Opium" d’Arielle Dombasle

C’est un film qui brouille toutes les frontières. Qui dissipe et redistribue les repères. Ceux des codes usuels et des normes en vigueur mais aussi ceux qui régissent le territoire ordinairement assigné à la santé mentale et à la folie. C’est un film entre ciel et terre mais qui tire bien plutôt vers les sphères célestes qu’il ne s’écrase à terre. C’est une double addiction appréhendée simultanément par un regard d’entomologiste et de poète. C’est une tragédie aérienne, vaporeuse, qui regorge de fantaisie. C’est la vie et les amours de Cocteau revues et hallucinées. (suite)

"Meteora" de Spiros Stathoulopoulos

C’est un film blanc sur blanc. Chaleur sur lumière. Foudre sur granit. Un film saturé d'abîme, Un film qui remet naître au goût du jour, qui remet prendre et perdre à vif, qui saisit l’élan à même la peau et prend son souffle aux lèvres de l’extrême.C’est dans les plaines de la Grèce centrale, dans un paysage âpre et brûlant, comme soufflé et mimétique du désert. Ce sont, dans un temps indistinct, deux communautés juchées, un monastère et un couvent, orthodoxes l’un et l’autre, qui se font face, dressés, tous deux, à l’extrémité de deux pitons rocheux. (suite)

"Electrick children" de Rebecca Thomas

C’est un film infiniment clair et un peu trouble. Un film bouclé, tout de blondeur un peu torse, un peu mêlée. Un film aux yeux grands écarquillés qui porte sur le monde un regard si candide et si pur que la contagion opère, la contagion vous frappe et vous frappe de vertige. La trame et le motif sont communs puisqu’il s’agit d’un franchissement, d’un affranchissement, d’une révélation et d’une expansion adolescentes. (suite)

"A bas bruit" de Judith Abitbol

C’est un film qui, en dépit de son titre, est plein de bruit et de fureur. Mais d’une fureur rentrée, contenue, qui se communique par ondes vibratoires, par capillarité et presque de façon subliminale. C’est un corps qui est atteint par une histoire, un corps qui s’emplit de fièvre et de secousses. Le corps atteint par l’histoire, c’est celui, d’une grâce insigne et d’une expressivité folle, de Nathalie Richard. Elle est seule en scène et tient la gageure de donner corps, presque deux heures durant, au récit qu’elle déroule. (suite)

"Extases" d’Ernest Pignon-Ernest (Musée de l’Hospice Comtesse - Lille : 3 avril – 30 juin 2013)

Ernest Pignon-Ernest avoue une fascination de longue date pour les grandes mystiques, les brûlées de l'intérieur. Car le corps est son objet, son projet et il est donc singulièrement requis par celles dont le corps est le lieu du passage, de l’essor vers un au-delà inscrutable. Ces femmes qui ont livré leur vie au divin, qui ont modelé leur corps pour en faire l’articulation visible, sensible, entre l’humain et le sacré, entre le charnel et la transcendance, entre la souffrance et l’extase. C’est de cela dont cette installation rend compte. Ernest Pignon-Ernest met en scène des corps nus, magnifiquement creusés, très esthétiquement ascétiques et décharnés, des corps qui semblent comme écartelés, suppliciés et sur le fil, en lisière entre torture et exultation suprême. (suite)

"Photo" de Carlos Saboga

C’est un film nomade, stellaire et ondoyé. Un film qui crépite de la poudre d’une étoile perdue. C’est un film flou, de brumes vaporeuses et de découpes franches, de ruptures nettes et tranchées et de brusques lancinances, un film absolument pas fiable qui bascule sans cesse d’une forme en son contraire, d’un extrême à l’autre et nous balade le long d’escarpements qui surgissent à mesure. C’est un portrait en forme de quête inspirée, d’enquête identitaire. (suite)

"Casa nostra" de Nathan Nicholovitch

C’est un film hirsute et tailladé, taillé dru comme une chevelure résolument rebelle. Un film qui grince, halète, crisse, piaffe et ne se laisse pas dompter. Un film râpeux, âpre et castagné, rêche et électrique. Un film qui tressaute et rue et ne progresse qu’au fil des saccades, ellipses et chocs frontaux qui le constituent. Un film qui cogne sans merci et jusqu’à les dissoudre sur les êtres comme sur les idées. Ce n’est pas un film mélodieux, du reste il n’est (et c’est aussi sa force) soutenu par aucune musique mais il impose cependant quelque chose comme une musicalité forte, un rythme, une cadence entêtante. (suite)

"L’âge atomique" d’Helena Klotz

C’est un film de corsaires qui tout pirate et tout extorque. A commencer par les éblouissements. Ce sont des nappes magnétiques qui enveloppement, submergent et opèrent un rapt. C’est un film de fille qui exalte et magnifie les garçons comme rarement à l’écran. C’est une ode effrénée à la " vraie vie " rimbaldienne et une invitation à investir la nuit comme l’espace le plus solaire qui soit. C’est une sombre et suave féerie qui recèle des charges explosives. Ce sont deux adolescents qui présentent des caractéristiques à la fois anachroniques et résolument modernes. Mais leur élégance, irréfutable, est intemporelle. Ils sont engagés dans une lancinante errance nocturne qui s’égale à une transhumance tant ils sont soumis à de successives et troublantes anamorphoses. (suite)

"MY MARS BAR MOVIE" de Jonas Mekas

C’est un film de bric et de broc et de contrebande. Une pluie d’instants volés, une constellation étourdie, tourbillonnaire et gouvernée par la plus pure gratuité. Jonas Mekas filme, en toute liberté, et sans le moindre égard pour quoi que ce soit d’autre que la pulsion scopique qui l’anime, le Mars Bar, situé à l’angle de la Première Rue et de la seconde Avenue, à Manhattan, bar qui constitua, des années durant, le point de ralliement élu par lui et son équipe. C’est un bar qui est, en soi, haut en couleurs et dont la faune, bigarrée, truculente, fantasque, souvent spectaculaire, mérite qu’on s’y arrête. Et Jonas Mekas y ajoute son regard à la fois si singulier, orienté et dépourvu de toute intention, de tout jugement.(suite)

"L’état du corps" – Immix Galerie – Espace Jemmapes – Agnès Godard, Pauline Lavaugez, Mathilde Le Fur, Maotao, Karine Zibaut

C’est une exposition qui rassemble des œuvres apparemment disparates. Le seul dénominateur commun est le corps que ces capteurs d’images et ces quêteurs de sens scrutent inlassablement. Il y a d’abord l’approche métaphorique, presque allégorique, de Maotao qui égale le corps à un paysage moiré, vaporeux, hypnotique. Puis Agnès Godard qui isole, parmi les corps, des fragments expressifs lesquels, sous son objectif, se nimbent de poésie. Mathilde Le Fur, elle, saisit les corps en apesanteur et elle opère de telle façon qu’ils semblent non seulement acrobatiques, captés en pleine voltige, mais aussi de nature incertaine, mi-céleste, mi-aquatique. Et il y a surtout l’entreprise saisissante de Karine Zibaut qui s’essaie à de troublantes compositions. (suite)

"The End" de Hicham Lasri

C’est un film cul par-dessus tête, un film la tête à l’envers, la tête à première et dans tous les sens. C’est un film vulcanisé, tissé d’images explosives et explosées qui pétaradent de partout. C’est un film en noir et blanc mais à ce point débordant de vie, d’images et d’émotions que l’écran s’éclabousse d’impressions polychromes. Nous sommes à Casablanca en juillet 1999 et en même temps nulle part et partout et dans l’intemporel et (tant tout fuse et s’expanse vers le haut) dans un grand poème indexé sur l’éternité. Mikha, le personnage central, est un jeune homme christique : il en a l’élégance, la noblesse, la candeur et la maigreur d’écorché. Il est flanqué de Daoud, un fantasque commissaire de police qui lui tient lieu de figure tutélaire et de Rita son amoureuse à mort, son aimée ravissante et capiteuse laquelle l’enveloppe et le crible de son enjouement canardé et fêlé. (suite)

"Innocence" de Lucile Hadzihalilovic

Innocence Lucile HadzihalilovicVoici un film qui court et se déploie en lisière. De la forêt, du conte, de l'allégorie, du roman d'apprentissage. Un film dont les vertus et la force magnétique sont le produit direct de son caractère indécidable. Les premières images donnent le la : jet d'eau bouillonnant, tourbillonnant qui envahit l'image puis le défilé de corridors obscurs, dédalesques, de gorges souterraines qui se résolvent en goulots d'étranglement. Tout de suite, l'atmosphère est posée : l'étrangeté couplée à une sourde menace règnent sans partage. (suite)

Expo : Marc Desgrandchamps (Musee d'Art Moderne de Paris)

marc-desgrandchampsAvec Marc Desgrandchamps, on croit d'abord pénétrer dans le champ du connu et même du rebattu : le monde estival des baigneuses livrées aux langueurs et délices des vacances. Cependant, très vite, un je-ne-sais-quoi nous alerte qui altère cette impression initiale de complète familiarité. Il y a autre chose, qui est de l'ordre de "l'inquiétante étrangeté", qui infuse dans les toiles et distillle peu à peu un indéfinissable malaise et une sourde angoisse. (suite)

"Out of sight"  Ellen Kooi - Institut néerlandais

image_kooiEllen Kooi nous entraîne sur une pente glissante, au sein d'un univers dangereusement féerique où les envoûtements pourraient bien s'apparenter à des malédictions. On est happé autant qu'hypnotisé par ces photos dont la teneur ne se laisse en aucun cas épuiser à la première vision. L'espace est dévoré par des paysages aussi sublimes que perturbés et pertubants. (suite)

"Protectors" de Sabine Pigalle (Gallerie Bailly Contemporain)

Sabine Pigalle porte un nom crapuleux et elle se préoccupe de sainteté. Mais les saints qu'elle met en scène sont grimés, poudrés, presque talqués dirait-on et ils sont nus. Savamment dénudés car tout, dans leur nudité, est étudié. Les corps photographiés semblent figés dans l'éternité, rapatriés depuis un autre espace-temps. Très droits, tout en élancement, d'une verticalité jamais prise en défaut, ils se tiennent là, dans une splendeur et une gloire qu'on dirait immémoriales. (suite)

"Les dissonances de l'adolescence" Immix galerie - Espace Jemma

C'est une exposition toute en force et en finesse, à l'image du thème traité : l'adolescence. Certains des artistes qui exposent ne sont guère plus âgés que leurs modèles, ils sont encore, tout ou partie, immergés dans cet âge de turbulences et cela se ressent dans leur approche, dans leurs images. Mais même quand le temps a imposé une distance, on perçoit partout, dans les clichés collectés et soumis à notre appréciation, un intérêt passionné, une vibrante empathie. (suite)

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