Soit
quatre personnages en quête non d’auteur mais de sens. Une
exploration minutieuse, poussée dans ses plus infimes et improbables
ramifications, des combinaisons et des possibilités offertes par le
désir. Par le choc pris dans la double aspiration de l’art et de la
nudité. Un
texte troublant, aussi magistralement sensuel que cérébral. Une
plongée hypnotique dans l’opacité des êtres, dans les arcanes du désir
et de la création.
Quatre personnages requis. Diversement, mais au même degré extrême par
la beauté.
Deux hommes, deux femmes. Un peintre, un photographe, une dramaturge
anciennement mannequin star, et une très jeune top model.
Ensemble,
ils vont expérimenter, l’espace de quelques séances de pose, et
jusqu’au vertige, les tournoyantes figures du désir et l’hypothèse de
l’amour.
Chacun surgira définitivement autre de cette friction décisive à
l’altérité.
Chacun sera, à un moment donné, corps et âme intégralement mis à nu.
Critiques :
TéléramaRencontre à la librairie "Les cahiers de Colette"
Alain Veinstein a reçu Bénédicte Heim pour son roman Nues (Les Contrebandiers)
C’est le récit d’un amour fou, d’une passion absolue et absolument destructrice parce que unilatérale. C’est l’histoire d’une adolescente de 14 ans qui éprouve pour sa prof d’anglais une adoration totale qui confine au culte divin. C’est l’histoire d’un amour impossible entre une enfant et une adulte parce que l’adulte se refuse à l’enfant d’une manière cruelle et définitive. C’est l’histoire d’une adolescente mystique qui tente vainement d’assouvir, à travers l’amour d’une femme qui se dérobe, le désir d’absolu qui l’étreint. Ca commence par un coup de foudre et ça continue dans la solitude aride d’un cerveau qui tourne à vide parce que, dans un premier temps, l’adolescente n’ose pas se déclarer et nourrit donc sa passion dans le secret et, dans un deuxième temps, la réponse attendue n’arrive pas. La narratrice tente donc de combler le manque, de défier l’absence à travers les délires que tisse son esprit comme autant de toiles d’araignées dans lesquelles elle s’enferme et finira par se faire piéger. Car l’acharnement à posséder cette femme inaccessible engendre une souffrance paroxystique, insoutenable. Prisonnière d’un désir fou et sans issue, la jeune fille développe une tumeur au cerveau. C’est le cri de la chair meurtrie par l’impossible. C’est aussi une ultime tentative pour faire pression sur cette femme-fantôme et l’obliger à entrer dans le cercle de la folie. La femme consentira à entrer en contact avec son ancienne élève, l’opération du cerveau aura lieu et réussira mais rien ne sera fondamentalement changé, on restera dans l’inaccompli et la blessure demeurera, inapaisable.
C’est une aventure intérieure d’une extrême violence. C’est l’histoire d’une âme dévastée par un désir inhumain que rien ni personne ne saurait combler.
« Tu ne mourras pas » est l’histoire d’un amour en principe impossible puisqu’il s’agit de la relation entre un enfant «différent», hypersensible, hyperesthésique de neuf ans et sa baby-sitter, une étudiante en philo âgée de vingt-deux ans. Si ce n’est que, cette fois, l’amour s’accomplit, se consomme. C’est une passion fulgurante, d’une beauté éblouissante et extraordinairement féconde. L’enfant est une espèce de génie, il fourmille de dons artistiques, il dessine, peint et la jeune fille deviendra son modèle. Mais l’entourage, rongé d’envie, rôde, menaçant et la société, régulatrice et mutilante se chargera de porter un coup fatal à cet amour sublime.
Critiques :
Le MondeLe site tunemourraspas.com est dédié à l'adaptation de Tu ne mourras pas par Edmond Baudoin.
Lui : Et moi je te voyais
pour la première fois
et je te parlais comme si c’était la dernière, comme si nous ne devions
plus
nous revoir sur terre et qu’il fallait que tu recueilles de moi, en une
seule
fois, tout l’essentiel afin de le propager ailleurs et après moi, il y
avait
urgence soudain à tout dire de ce que j’avais toujours tu, à tout
délivrer de
ce que j’avais toujours contenu et il y avait en moi la poussée
irrépressible
des mots que je décachetais un à un et que je te présentais comme une
offrande
à la fois liminaire et ultime. Je te parlais comme un enfant, comme un
perdu, je
te disais tout sans calcul, tout ce que mon ventre noué sur des années
de
rétention me dictait et toi que je connaissais depuis quelques heures à
peine,
il me semblait que tu me convoyais vers des creusements inexplorés et
que tout
ton corps, déjà, se courbait et se ployait pour recevoir le mien, il me
semblait que je culbutais en toi comme en un dédale frissonnant de
promesses et
que je devenais par toi et par ton adhérence qui me ceignait,
possesseur de
toutes les intuitions et connaisseur de toutes les sciences vitales et
je te
connaissais mieux, soudain, dans cette rafale de genèses, que tous mes
proches
et leurs mystères impénétrés.
Elle et Lui : Dialogue sur
le fil. Fragments
d’un discours amoureux. Chronique d’un merveilleux désastre. Ils se
cherchent,
s’attisent, se cognent, se blessent, se désirent, se brûlent,
s’apprivoisent...
La parole intervient en cours de déflagration, elle se remémore et elle
est
contemporaine du lien qui se tisse. Les amants se répondent et peu à
peu, mot à
mot, bâtissent la légende de leur histoire.
« La femme de mon père » aborde les désordres, les parts d’ombre, les versants démoniaques de la famille. Les parents ne trouvant pas à se satisfaire l’un avec l’autre reportent leurs désirs, leurs besoins voraces sur leurs enfants. La mère pratique l’inceste avec son fils, le père jette son dévolu sur sa fille et, bien qu’il n’y ait pas, à proprement parler, passage à l’acte, il l’emprisonne, l’étrangle, la vide de sa substance. Les deux enfants ne trouveront de salut qu’en reproduisant l’acte incestueux mais cette fois l’un avec l’autre.
Quatre personnages en quête de salut. Une plongée dans l’enfer familial. Monologues croisés du père, de la mère, du fils et de la fille qui ne sont pas autrement nommés que par ces appellations génériques. Tour à tour, à travers des tirades, des litanies plaintives, rageuses, explosives ou déchirantes, ils évoquent l’obscure malédiction qui pèse sur eux et qui est celle de l’amour abusif, dévoyé, destructeur ou cruellement absent. Peu à peu se précise la nature maléfique des liens qui les unissent les uns aux autres, liens corrompus, attaqués par le venin d’une souffrance sans remède. A la fin, les deux enfants n’auront d’autre choix, pour survivre au désastre, que de reproduire, mais en le convertissant radieusement, l’inceste initial commis par les parents.
Ce texte fouille les entrailles de l’humanité souffrante et égarée et il en tire des accents terribles qui l’apparentent aux mélopées des mythes archaïques ou des tragédies antiques.
C’est le parcours d’un être singulier, en marge dès son plus jeune âge. On le suit depuis l’enfance jusqu’aux abords de la cinquantaine. Enfant, il est débordé par les signaux que la vie lui envoie, par la matière qu’elle lui fournit. Déjà, il est hanté, obsédé par le désir de transformer, de donner sens à ce qu’il perçoit. Il dessine, peint, écrit avec fureur avant d’opter plus spécifiquement pour la peinture. C’est un exacerbé, un hyperesthésique mais il est affligé d’un père absent et d’une mère diaphane, évanescente, parfaitement insaisissable à qui il tente vainement de communiquer ses extases intimes. Il trouve une complice en la personne de la gouvernante, une argentine déclassée, femme intelligente et de tempérament. L’enfant la prend pour modèle mais il l’entraîne si loin, son esprit est si audacieux, atypique, tutoyant les extrêmes, pulvérisant les limites, qu’elle prend peur. Au même moment, le père de l’enfant, homme bon et sensible auquel le jeune artiste est très attaché, lui annonce qu’il se sépare de sa mère. Sommé de choisir son nouveau lieu de vie, l’enfant, déchiré, opte pour sa mère car il ne veut pas quitter Inès la gouvernante, son modèle, matière première de son art. Peu après, Inès, épouvantée par l’extrémisme de l’enfant, s’enfuit. Pour l’enfant, c’est la fracture. Séparé de son père adoré par sa faute, responsable du départ d’Inès, il est terrassé, écrasé de culpabilité. Souvent déjà, il avait été sujet à des crises qui s’apparentent à une forme hallucinatoire de l’épilepsie. Cette fois, il est fauché par une crise qui le conduit aux portes de la folie. Il décide (pour se châtier ? pour se préserver ?) de tourner le dos à sa vocation, à sa vie véritable.
On le retrouve jeune homme. Il est nommé, il s’appelle Alix et il erre au sein d’une vie privée de substance, accumulant des conquêtes féminines qui demeurent sans impact pour lui. Il devient ébéniste car le bois est une matière tangible, rassurante qui le maintient loin de toute pulsion créatrice extravagante. Il épouse une intellectuelle, une sociologue, femme cérébrale et déterminée. Il aspire à une vie conventionnelle, reposante. Mais il est rattrapé par son destin. Sa femme se révèle froide et implacable, inapte à le comprendre comme à le révéler. Ses deux enfants lui sont étrangers. Les crises le reprennent dès qu’il se trouve en présence d’une oeuvre d’art. Il rencontre une inquiétante voyante qui le tance, lui intime, sous peine de mort, de se rejoindre, de retrouver son amour. Il croit qu’il s’agit d’Inès, la traque partout. Mais l’amour apparaît sous les traits d’une jeune modèle qui sera sa rédemption et grâce à qui il renouera avec sa vocation.
Critique :
Librairie Le feu rouge
« Le livre d’Ysé » constitue la suite du précédent roman. C’est, sous forme d’échange épistolaire, la relation amoureuse fiévreuse et formidablement créatrice qui unit le peintre et son modèle. Cette relation est si fertile que l’homme et la jeune femme deviennent des artistes à part égale, l’un et l’autre créateurs de l’œuvre d’art qu’est leur vie.
Alix,
peintre ayant tourné le dos
à sa vocation. Ysé, figure de sa rédemption, jeune modèle qui lui rend
l’usage
de lui-même et de ses dons. Ensemble, ils inventent un amour aussi
fécond
qu’insatiable, aussi exclusif que donateur et le débridement charnel
avive en
eux le sens du sacré. Toujours en alerte, en quête d’absolu, ils sont
la preuve
que le fol amour ne rime pas nécessairement avec perdition. Eux-mêmes
artistes,
ils font de leur amour leur œuvre majeure.
Avec ce roman, Bénédicte Heim clôt un cycle consacré à l’amour fou. On retrouve ici sa prose enfiévrée et son goût de la démesure. L’écriture frappe par son lyrisme emporté et par l’alliance qui se fait jour entre un charnel très cru et un ardent élan mystique. La hauteur de vue, le souffle de l’écriture, l’exigence poétique et morale, l’incandescence qui parcourt chaque page font de ce texte une référence en même temps qu’un hommage vibrant, incantatoire, à la passion amoureuse.
« PHEDRE »
revisité par Bénédicte Heim
Au commencement, elles sont trois, trois sœurs dont deux murées qui vivent sous le gouvernement de la mère. Mais la cadette, Vive, s’extrait de cet infernal gynécée. Elle part, fuit vers le sud.
Echappée et sauve, elle vend, pour subvenir à ses besoins, des primeurs sur les marchés et elle vend aussi son corps dans un club très privé. Elle le fait sans amertume, sans révolte, avec une grâce et une joie réelle.
Un jour de marché, Vive fait la connaissance de deux adolescents, Benjamin et Margaux, les neveux du maraîcher qui emploie Vive. Ils sont beaux, étranges, charismatiques et possèdent une force d’envoûtement qui tient du sortilège. Ils sont unis par une relation si étroite qu’on les nomme « les jumeaux » et, tout comme les jumeaux, ils ont élaboré un langage et des pratiques qui leurs sont propres. Leur rayonnement est mystérieux, il suscite des interrogations et des rumeurs, on leur prête même des pouvoirs maléfiques et des agissements coupables.
Ils jettent leur dévolu sur Vive, l’entraînent au sein de leur troupe de théâtre. Cette compagnie d’amateurs est chapeautée par Eve d’Archambault qui est aussi le professeur de français des « jumeaux ». Eve est, elle aussi, une énigme : altière, sèche, péremptoire, elle inspire le respect autant qu’elle sème la terreur mais, on l’apprendra peu à peu, c’est une enfant et une jeune femme polyfracturée qu’abrite cette cuirasse. Eve va engager Vive pour interpréter le rôle-titre de la pièce qu’elle est en train de monter : « Phèdre » et toute une partie du roman scrute ce qui se joue pendant les répétitions et comment la vie dramaturgique et la vie prosaïque (mais hautement poétisée par nos héros) interfèrent.
Il va se nouer entre Vive, Eve et les jumeaux des relations passionnelles et tellement particulières qu’elles sont aux confins du dicible.
Apparaissent également un jeune homme quasi autiste qui délègue à une caméra le soin de nouer des relations avec l’extérieur ( très vite il filmera toutes les répétitions) et le père d’Eve, un vieil homme qui est aussi un musicien de renom et (on l’apprendra tardivement) un être profondément désaxé. Le jeune homme comme le vieil homme sont les clients de Vive.
A la fin, presque tous les mystères sont levés, les énigmes résolues mais l’envoûtement demeure…
Critiques :
L'âge de l'outrance par Télérama
Ce livre retrace le rapport orageux de l’auteur à l’école. Entre détestation et passion, terreur et allégresse, dégoût et exultation, c’est un parcours d’élève puis de professeur qui nous est conté. Parcours jalonnés d’épisodes douloureux voire destructeurs mais aussi d’émerveillements purs, d’éblouissements aussi violents qu’inespérés. On passe d’une paisible école de campagne à un lycée huppé et réputé de centre-ville pour finir dans la tourmente d’un collège de banlieue. Le rapport n’est jamais institutionnel, il ne va jamais de soi car l’auteur est inadaptable et il lui faut emprunter des chemins de traverse, inventer son propre mode d’être dans ce monde qu’est l’école puisque les modèles proposés la rebutent et la blessent. Le chemin de croix se mue finalement en adhésion lumineuse. On croise des figures de professeurs puis d’élèves, tous hors normes qui ont favorisé cette conversion. Aly, à qui il est rendu hommage dans le titre, est l’un de ces êtres d’exception.
En filigrane, on apprend comment la souffrance endurée fut le creuset de l’écriture ainsi que l’épreuve nécessaire pour accéder à une joie tout à fait démesurée, une extase puisque c’est bien d’une relation d’amour et d’un retournement mystique dont il est question…
Les Dernières Nouvelles d'Alsace
Préface :
Il
arrive, dans une carrière de
professeur, qu’on soit touché par la grâce. Il arrive qu’entre un
professeur et
une classe, il passe davantage qu’un courant de sympathie :
une
immédiateté, un sentiment de reconnaissance mutuelle, un mystère
incandescent
qui s’apparente fort à l’amour. Les connexions qui s’établissent alors
entre
l’adulte et les enfants sont exceptionnellement profondes et fécondes.
C’est un
miracle de cette sorte que j’ai vécu durant l’année scolaire 2006-2007.
Année
scolaire, année solaire. Au début, j’énonçais des propositions, je
lançais les
élèves sur des pistes, j’imprimais un élan qu’ils s’empressaient de
prolonger.
Bientôt, cependant je n’a plus eu à leur soumettre quoique ce
soit : ils
arrivaient chargés d’une pleine moisson, riches de projets foisonnants.
Les
idées fusaient et j’étais presque dispensée d’intervenir tant était
fertile et
toujours renouvelée (autant que source d’allégresse) la créativité à
l’œuvre
chez ces enfants. Ce fut un soulèvement, une insurrection poétique. Ont
alors
vu le jour tout au long de l’année une multitude de pépites, des
réalisations
crépitantes, aussi remarquables que jubilatoires en l’espèce de
saynètes,
pièces de théâtre, textes thématiques, fragments réflexifs, poèmes,
slams … Al
a faveur de ces fulgurations, des personnalités étincelantes (et,
certaines
largement insoupçonnées et sous-évaluées dans le cadre d’exercices
purement
scolaires) se sont affirmées. Certains se sont découvert une passion
pour
l’écriture, d’autres des aptitudes pour le théâtre, d’autres encore ont
développé des dispositions poétiques. J’ai assisté à des éclosions
aussi
formidables qu’incessantes. La récolte était d’une qualité telle (et
qui ne se
démentait pas) qu’il m’a semblé regrettable de ne pas en conserver une
trace.
Aussi ai-je fait venir Antoine de Kerversau, éditeur de son état mais aussi photographe afin qu’il fixe sur la pellicule les éclats éblouissants, les fabuleuses floraison qui advenaient régulièrement en salle 113. Témoin et passeur, Antoine de Kerversau ne s’est pas contenté de photographier les enfants en pleine effervescence créatrice, il les a aussi initiés au maniement de la caméra si bien qu’ils se sont filmés les uns les autres.
Ce précieux recueil rend compte de cette expérience hors du commun. Ou comment l’école peut devenir le révélateur de talents trop souvent méconnus, la classe étant alors un athanor, l’espace transfigurateur, le lieu de l’ouverture, de l’euphorique dilatation et presque le témoin d’une transe dionysiaque… Je ne saurais assez exprimer ma gratitude à ces enfants si exceptionnellement doués et qui m’ont fait vivre, dix mois durant, un enchantement.
Les Dernières Nouvelles d'Alsace
Recueil de nouvelles sur le thème de la folie : ouvrage collectif dirigé par Bénédicte Heim auteur de « Soleil cou coupé » éditions Baleine (collection Ultimes).
« Dieu m’a
dit : « Rentre chez toi et
dis à ta femme que tu es fou. » J’ai compris que Dieu me
voulait du bien,
c’est pourquoi je suis allé à la maison dans l’intention de lui
annoncer cette
nouvelle. »
Nijinski
« Cahiers »
« Mais à ces saints que
demandent les hommes sinon ce
qui est du ressort de la folie ? »
Erasme « Eloge de la folie »
Qu’en est-il de la folie ? Pourquoi suscite-t-elle tant de commentaires, tant de discours et d’écrits ou, à l’inverse, pourquoi se forme-t-il, autour de son surgissement, tant de silences oppressés et de muettes épouvantes ? Celui qui échappe à toute détermination autre que celle, très vague, de « fou » devient l’indéfinissable et l’incernable, il nous jette dans l’inconnu sans remède et sans adoucissement possible, il nous confronte à des confins et des extrêmes qui se sécrètent au coeur d’une humanité qui est aussi la nôtre et c’est pourquoi la folie génère ce double phénomène de fascination et de terreur. Par instinct de défense, nous décrétons que le fou c’est toujours l’autre, le lointain égaré, exclu de la communauté des êtres rationnels ou nous convenons à la rigueur qu’il est notre prochain, qu’il nous touche de près et se tient dans les parages de notre existence étanche à ses poussées convulsives mais en aucun cas il ne saurait porter atteinte au déploiement de notre raison triomphante. Pourquoi ce refus radical, pourquoi cette frayeur unanime face à l’étrangeté du fou et nous sentirions-nous à ce point menacés si nous ne portions pas en nous une part , possiblement extensible, de cette altérité qui nous dérange ? Et si nous commencions par reconnaître que cette folie, tant décriée, moquée, redoutée, tant martyrisée, soumise au bannissement et à l’enfermement, nous en portons en nous les germes ?
Les fous nous désignent la frontière qu’ils ont franchie sans retour possible parce qu’ils ont perdu « le langage de la tribu », l’usage normatif, compréhensible et partageable de la langue qui fonde leur appartenance à la communauté humaine dite sensée. On dit donc qu’ils délirent, qu’ils divaguent, qu’ils déraisonnent, qu’ils sont insensés c’est-à-dire qu’ils ont rompu avec les sens et les signes reconnus comme valables par le plus grand nombre. Mais la frontière est fragile et elle est déplaçable en fonction des moeurs et des époques : les sorcières d’autrefois et les voyants d’aujourd’hui tutoient de la même façon le surnaturel et cependant le sort réservé aux unes et aux autres varie considérablement. Et puis il y a ceux, les artistes, les créateurs, qui se tiennent plus ou moins délibérément sur la frontière, ce sont des explorateurs, des passeurs de sens et ils se placent souvent, à leurs risques et périls, à l’orée du basculement, ils manquent quelquefois de traverser le miroir et c’est pourquoi ils peuvent à loisir en observer les deux faces, c’est pourquoi également ils réussissent la périlleuse opération de restituer l’expérience du franchissement et de traduire la folie frôlée dans la langue commune.
C’est donc à un étrange et envoûtant
voyage que vous
convient les auteurs des nouvelles rassemblées dans ce
recueil : ils vous
invitent à entrer dans le temple de la folie où, peut-être, certaines
clameurs
résonneront familièrement à votre ouïe intime car que sont-ils d’autre,
tous ces
affolés, sinon une hypothèse extrême et une ligne de fuite à l’horizon
de
chacun d’entre nous et qui est le fou sinon cet autre
cadenassé qui hurle
et se débat en nous ?
Pourquoi avoir choisi la folie pour thème central ?
-Parce que c’est un terme qui recouvre des acceptions très variées, ouvre des champs d’exploration multiples, permet des approches et des investigations très personnelles et donc un traitement littéraire qui varie énormément d’un auteur à l’autre et couvre un spectre très large.
-Parce que la folie, c’est le point
de rupture, l’au-delà
des limites et des frontières ordinaires soudain pulvérisées pour faire
place
aux excès et aux débordements que nous contenons tous potentiellement
et dont
ces nouvelles présentent une mise en oeuvre possible. Autrement dit,
ces textes
qui mettent en scène des comportements limite, ne décrivent pas les
autres, de
lointains étrangers que nous observons avec un froid détachement, non,
ces
portraits montrent un de nos possibles visages et c’est en cela qu’ils
nous
intéressent et nous concernent : ils nous placent en face du
basculement
dont nous sommes tous, dans notre fragile humanité, menacés.
Le choix des auteurs : il
résulte avant tout d’un coup
de foudre littéraire, il est motivé par des textes dont je suis tombée
amoureuse puisque rien de bon ne peut s’accomplir sans passion. Et,
dans le
prolongement logique de ce premier critère, ces auteurs ont été choisis
en
fonction de leur aptitude à transgresser les limites, à explorer les
marges et
les confins du possible. Ce qui rassemble tous ces écrivains très
disparates,
c’est que la vie les traverse sans les ménager et qu’ils en rendent
compte avec
force dans leur oeuvre.
-Richard MILLET (P.O.L et Gallimard)
Ex-professeur de lettres, il est l’auteur de plusieurs romans et recueils de portraits qui dépeignent, avec une grande acuité, les adolescentes dans leur rapport de séduction, très sensuel, au « maître », surpris et charmé par leurs audaces qu’il ne laisse pas, du reste, de provoquer dès qu’il perçoit en elles l’étincellement du désir.
Voir, par exemple, « Le chant des adolescentes » ou « Laura Mendoza ».
Il est également l’auteur d’un cycle
de romans qui ont pour
cadre
-Pierre BOURGEADE (N.R.F et de multiples autres...)
C’est sans doute dans le registre de l’érotisme que s’illustre avec le plus d’éclat cet auteur prolifique, protéiforme, incaptable et inclassable, toujours en ébullition, en quête d’expériences et de sensations nouvelles, homme fascinant tant par son inventivité et son extrême jeunesse d’esprit que par la persistance de ses obsessions.
Voir : « L’Aurore
boréale », « Eros
mécanique », « Sade, Sainte Thérèse »,
« Le mystère
Molinier »...
-Anne THEBAUD (Maurice NADEAU)
Jeune femme extrême qui vit, toujours à bout de souffle, dans l’écartèlement entre ses désirs multiples et contradictoires. Elle vit, elle aussi, mais de manière beaucoup plus tragique que Bourgeade, dans la fascination de l’érotisme et dans un rapport très fort au désir dont elle explore les déclinaisons possibles.
Auteur de
« Reliquaire », recueil époustouflant de
fragments à son image, livre d’une intensité folle dont la lecture m’a
saisie,
éblouie, clouée d’admiration.
-Cécile WAJSBROT (Zulma)
Ses thèmes de prédilection sont l’errance, la perdition, les personnages ambivalents et déracinés qui s’interrogent sur leur identité et sur leur désir .
Auteur, entre autres, du très subtil
et troublant
« Désir d’équateur » qui met en scène une jeune femme
écartelée, dans
son désir amoureux, entre un homme et une femme.
-Hubert HADDAD (Fayard et Zulma)
Il adore revisiter le substrat
mythologique qui fonde nos
cultures mais s’attache aussi à suivre des êtres en quête d’absolu
comme c’est
le cas dans son récit déchirant « La vitesse de la
lumière » qui
raconte l’itinéraire fracturé d’une adolescente qui s’est donné la mort
faute
d’avoir trouvé dans le monde de quoi assouvir son désir d’infini.
-Dane CUYPERS (Climats)
Auteur d’un recueil de nouvelles
« Parasols » qui
décrivent tour à tour et très subtilement des personnages, estivants
rassemblés
l’espace d’un après-midi sur une même plage et qui, à la faveur d’un
incident
minime, sont amenés à s’interroger sur le sens de leur existence et la
validité
de leurs désirs.
-Caryl FEREY (Baleine et Série Noire)
Il aime, au travers du roman noir,
explorer les régions
troubles et sombres de l’âme humaine qu’il incarne dans des personnages
marginaux et déphasés, errants perpétuels mais acharnés à mener à bien
leur
quête parfois absurde, le tout dans un style souvent truculent et drôle.
-Chloé DELAUME (Léo Scheer) –Lauréate du Prix Décembre
Auteur d’un récit à peine soutenable
dans sa cruauté, sa
crudité, son intensité puisqu’il raconte dans un style saisissant et
radicalement neuf qui confine à l’invention d’un langage, le meurtre de
sa mère
par son père qui s’est ensuite suicidé sous ses yeux lorsqu’elle était
âgée de
dix ans. Auteur absolument original et on ne peut plus prometteur.
-Claire BECHET (Calmann-Lévy) –Lauréate du prix du Premier roman
Auteur d’un récit étrange et
captivant qui met en scène deux
personnages décalés pris dans la danse du désir et de l’amour
inaccompli.
-Léo LAMARCHE (Baleine) –Lauréate du prix de Lamballe
Coutumière des situations extrêmes et invivables, elle trouve dans l’écriture un exutoire et entraîne ses personnages, très noirs, dans des dérives et des folies terrifiantes.
La folie nous convoite et nous courtise. La folie voyage, elle vagabonde au travers des âges, des paysages et des corps et elle s’implante à l’aventure dans les esprits qui s’ouvrent trop candidement à elle. La folie est le personnage principal des nouvelles qui composent ce recueil, les affolés qui la subissent n’en sont que les serviteurs zélés et, au gré des visages ou des masques qu’elle désire revêtir, ils la déclinent sur le mode du délire furieux ou de l’égarement à peine perceptible, de la perversion ou de la rage de vivre, de la chute verticale dans le non-sens ou de la douce divagation. Onze auteurs ont flirté avec la folie et, de leur corps à corps avec elle, ils ont extrait chacun un texte traçant les contours immensément variables de cette force libre qu’on n’enferme pas, même dans les mots.
Critiques et sites des auteurs :
Site de Chloé Delaume
Site de Léo Lamarche