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Bernard Souviraa par Livres-Addict.fr 

"Parades" de Bernard Souviraa (l'Olivier)

ParadesC'est un récit qui plonge loin dans les racines de la mémoire. Loin non pas tellement dans le temps mais dans ce qui fonde une personnalité et même un destin. C'est l'histoire d'une de ces rencontres décisives qui infléchissent le cours d'une existence, d'une fascination adolescente qui resurgit vingt ans après avec une violence inouïe.

Sébastien, le narrateur, est professeur de français, "excellent" selon son patelin proviseur, mais porté par aucune vocation. A la veille de ses 40 ans, il est, en plein cours, frappé de "sidération". Son malaise est si vif qu'il est contraint de quitter la salle, d'abandonner ses élèves, de rallier l'infirmerie puis le bureau du proviseur à qui il annonce, abruptement que son état nécessite un arrêt de travail de plusieurs semaines (l'épisode nous vaut d'ailleurs les portraits croqués, incisifs, jubilatoires mais non dénués de tendresse de quelques archétypes sévissant dans l'Education nationale).

La cause de ce saisissement ? Une rémanence fulgurante. Gabriel. Prénom d'archange. Aura vaguement pasolinienne. Présence massive et puissante. Chevelure sombre, dégaine de ténébreux et aura irradiante. Un jeune homme qui a percuté la trajectoire du narrateur lorsque, âgé d'une vingtaine d'années, il a poussé presque par hasard la porte d'un cours de théâtre cependant que le susnommé Gabriel se produisait sur scène. Le narrateur subit un rapt. Il prétexte la passion du théâtre pour approcher l'archange de feu sombre auquel il va se greffer jusqu'à devenir son prolongement, son ombre, son double inversé. Sous la houlette de Laurette Mondine (figure haute en couleur, d'une démesure quasi durassienne, personnalité rabelaisienne, toute de truculence, d'extravagance et de rose vêtue), ils forment un attelage contrasté, désigné pour donner corps à des textes de Sade. Ensemble, dans le studio de Gabriel, ils s'enivrent de vin et de mots, de théâtre et de sentiments troubles jusqu'à l'étourdissement, jusqu'à la nausée. Et le récit se déploie alors sur deux fronts : il y a la part visible, la part émergente, la seule à laquelle le narrateur accordait du crédit dans le passé, cette version dans laquelle Gabriel régnait sans partage, poseur, tapageur, doué, promis à un brillant avenir cinématographique, Gabriel qui seul "prenait la lumière" tandis que Sébastien le secondait de manière poussive, béant d'admiration, transi de jalousie. Et puis il y a la passion secrète que Gabriel vouait au narrateur et à laquelle, feignant de ne pas la voir et crevant de trouille, il n'a pas répondu.

Tout explose lors de la classique "montée à Paris" (car toute la partie proprement initiatique a lieu à Bordeaux). Gabriel et Sébastien intègrent le cours de théâtre de Nora Reps, belle figure (quoique trop fugace et peu exploitée) de diva déchue. La rivalité et l'écart s'exacerbent. Tandis que Gabriel est adoubé, choisi pour tenir le premier rôle dans un film où il a pour partenaire Isa Fovix (Isabelle Huppert aisément reconnaissable et dont les évocations, fort réussies, émaillent le texte), Sébastien, lui, écope d'une fin de non-recevoir et devient piteusement l'un de ceux que les deux jeunes hommes décrièrent si fort : un fonctionnaire, un prof de lettres, un bourgeois installé. Car leur relation si tumultueuse fut-elle, était aussi toute boursouflée d'arrogance, d'outrecuidance et de rébellion factice. Mais s'il en fut bien démoli, Sébastien y a aussi puisé le goût et la force d'écrire. Une pièce de théâtre justement. Et puis après la suprême consécration, le film avec Isa Fovix, le prix d'interprétation à Cannes, Gabriel a disparu de la circulation. Volatilisé. Black-out de presque vingt années au cours desquelles le narrateur est passé maître dans le refoulement et le déni. Puis l'épisode de la sidération déclenché par un spectacle théâtral dans lequel s'illustre Isa Fovix ...

Ayant obtenu son congé, le narrateur s'enterre, s'enfouit, s'enferre, ressasse un passé qu lui saute à la tête. Il se met à pister Gabriel. Loue la casette de l'unique film qu'il a tourné. Retrouve la trace de son agent de l'époque. Finit par apprendre qu'il a été aperçu récemment à Porto où il vivait, tranquille et bouffi ...

Et Sébastien d'appareiller pour Porto où il rejouera avec Nuno, un jeune homosexuel sidéen, une partition assez proche de celle qu'il développa avec Gabriel. Jeux de miroirs. Vertiges contrôles. On joue à se faire peur. Au fil de cette échappée, l'impératif désir de retrouver Gabriel s'émousse. Ce qui taraudait devient flou, sujet à caution. Que cherche Sébastien au fond ? Renouer avec une histoire laissée en suspens ? Vivre enfin un amour resté en souffrance ? Ressusciter un passé dont l'intensité et les éclats ont déserté le présent ? Retrouver, à travers Gabriel, la part de lui-même qu'il a trahie ? Retrouver celui dans le sillage duquel il a connu les seules véritables incandescences qu'il lui a été donné de vivre ?

Un beau roman sur les embrassements de la jeunesse, les éruptions d'une mémoire inapaisée, les ravages le l'inaccompli.

On regrettera toutefois que le style comme la structure restent un tantinet scolaires, trop sagement architecturés et contrôlés. On eut aimé que la fougue et la démesure dont in est question contaminent la matière même du texte. La folie qui ici fait défaut est au contraire largement présente dans le troublant premier roman de Bernard Souviraa "L'oeil du maître" que l'on recommande.

BH 02/08
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