C'est
un texte de fièvre et de foudre. Un texte d'une force galvanique et
d'une si tremblante fragilité qu'on craint à tout moment que ne se
brise la voix qui s'élève.
C'est un texte d'ardeur, de résistance et d'amour. Un combat qui se mue en consentement.
C'est une histoire de difficile filiation. Car il est difficile d'être la fille de l'amour même. L'auteur, Paule du Bouchet, est la fille du poète André du Bouchet et de Tina Jolas qui fut, des années durant, l'amante secrète de René Char. Elle raconte la difficulté d'être et de grandir dans le cercle d'une double et contradictoire irradiation : la présence solaire, radiante d'une mère par qui tout était grâce et la privation de cette même présence, l'incessante et incendiaire menace qu'elle ne soit ravie, raflée par l'impérieuse passion qui l'appelait auprès de Réne Char.
Passion auprès de laquelle rien ne pesait. Pas même la déchirure ouverte dans le corps d'une petite fille, pas même cette muette détresse. Car la folie de Char, car la folie pour Char primaient tout.
Ce texte est un hommage paradoxal à une mère proie d'un ravissement. L'éclat de la femme d'exception se cogne à l'ombre de la mère dérobée. Il se trouve qu'au moment où elle achevait son récit, Paule du Bouchet a débusqué des lettres que Tina Jolas adressa à une très chère amie. Ces lettres couvrent des décennies et rendent compte, par ellipses foudroyantes et dans une langue d'une inventivité inouïe, des éclairs de la passion, de l'affolant bonheur, des térébrantes douleurs, de la ferveur inentamée au coeur même du pire.
L'auteur a eu cette extrême honnêteté de proposer, en écho à sa version des faits, celle de sa mère. Cela donne lieu à l'alternance de deux voix distincte mais qu'un feu contenu habite pareillement.
L'auteur
évoque des souvenirs
d'une déchirante précision. Des instantanés d'enfance perfusés
d'amertume et de chagrin, envenimés d'absence. Mais la rage résiduelle
n'est jamais univoque : toujours elle se teinte d'une admiration
irrépressible et d'une tendresse éblouie pour cette femme libre et
irrésistible autant qu'irrésistiblement happée que fut Tina Jolas. Et
de
même, dans l'écriture, la violence concentrée le dispute à une extrême
délicatesse. Quelques épisodes poignants sont rapportés : la tentative
de suicide de l'auteur à l'issue de laquelle la mère, pleinement
consciente du mal-être de sa fille, oppose à cette détresse son propre
et éclaboussant bonheur. Ou la fois où Paule du Bouchet toute jeune
fille s'étant éprise d'un musicien qui la malmenait, Tina Jolas eut
cette phrase insensée et sublime (phrase si peu maternelle mais
trahissant l'amoureuse éperdue qu'elle était essentiellement) : "Il
faut tenir"... A la suite de quoi, Paule s'étant mise en devoir
d'appliquer le précepte maternel, en fut détruite pour plusieurs années
: ce qui valait pour la mère ne valait pas pour la fille...
Au bout du compte, tout ce qui relevait du ressentiment s'estompe et presque tout tourne à l'hommage, un hommage incendié d'amour fou, celui cette fois que Paule porte à Tina. La conciliation, la compréhension et même la gratitude l'emportent. Car c'est une grâce, l'auteur le mesure, que d'avoir eu pour mère une femme à ce point brûlée d'amour, une femme qui était un pur cristal et la poésie même. Et l'écriture est pareillement touchée par la grâce : c'est, tombée de la fine pointe de l'âme, une pluie d'étincelles.
BH 03/11
Retrouvez
également l'interview de
Paule
du bouchet
par
Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.