Elle
a dix-sept ans, elle se prénomme Line, elle funambule sa vie en quête
d'instants absolus, d'instants qui recèlent le suc plénier de la vie. A
une fête, elle rencontre Julien, beau ténébreux désenchanté, elle le
met au défi de se jeter dans le vide, ce qu'il fait, sachant toutefois
que c'est d'un premier étage qu'il se précipite. Magnétisée par ce
garçon, happée par sa noirceur affichée autant que par sa rayonnante
beauté, Line entre dans son orbe et s'efforce de percer l'énigme de ses
phrases dédaigneuses et cinglantes. Elle s'attache tout
particulièrement à son sourire en forme de fêlure et à ses dons de
pianiste virtuose qui la subjuguent.
Elle ne s'arrache momentanément à la toxique fascination qu'exerce sur elle ce champion du dandysme ancienne manière que lorsqu'elle rencontre Andréa, autre jeune homme, lui aussi pianiste hors pair et promis à une carrière éblouissante. Andréa est l'antipode de Julien, son versant solaire et généreux. Très beau, très doué lui aussi, il se distingue par son goût de la vie, son adhésion aux joies qu'elle prodigue, toutes choses que Juline conspue copieusement. Dans la candeur d'Andréa, Line se respose du cynisme de Julien. Mais dans le coeur d'une rimbaldienne fille de 17 ans, tout n'est qu'ambivalence et notre narratrice ne peut s'empêcher de nourrir un certain mépris pour le caractère trop uni et les dispositions apparemment trop heureuses d'Andréa. Lorsque ce dernier l'encalmine, elle éprouve une poignante nostalgie pour les aspérités et les sarcasmes de Julien et ce d'autant plus depuis qu'elle a appris qu'une flamboyante jeune fille rousse, photographe de son état, s'est donné la mort pour avoir été répudiée par lui. La logique du désir triangulaire se déploie, se répercute dans de vertigineuses mises en abyme et notre adolescente cultive avec une belle frénésie l'attrait morbide qu'exerce sur elle l'ensorcelant Julien, couplant dans son désir éros et thanatos laquelle éclipse le trop lumineux, le trop vivant Andréa.
Line
oscille entre l'or et le noir mais les deux astres finissent par se
rencontrer et, contre toute attente, ils pactissent. Dès lors nos
trois héros deviennent inséparables et ils vont jusqu'à passer ensemble
des week-ends et même de longs séjours sur la chiquissime côte
normande. En proie à d'étranges mélancolies, ils devisent
interminablement, échangent de profondes pensées sur la vie, l'amour,
la mort et l'art. Ils s'autoproclament "instantanéistes" et célébrent
le culte des instants parfaits que Line, cependant, ne goûte jamais
plus pleinement que lorsqu'elle est seule.
Au fil du temps, Andréa se révèle plus complexe et plus tourmenté qu'on ne l'aurait cru (notamment parce que, interprète prodige, il se maudit de n'être pas apte à composer) tandis que Julien s'efface lentement et que Line s'achemine vers une forme d'apaisement dans la mesure où s'estompe son besoin compulsif de plaire, de paraître, d'être en perpétuelle représentation. Le factice et le clinquant cèdent la place à un état plus dénué, plus authentique.
Hymne à l'adolescence et à ses brûlures, ce roman rend un son étrangement inactuel, presque désuet. Les personnages, issus de la jeunesse dorée, sont tous furieusement beaux, artistes et chahutés par un mal de vivre romantique, baudelairien, très fin de siècle.
Un récit au charme prenant écrit par une toute jeune fille (l'auteur a tout juste 20 ans) au talent prometteur.
BH 11/08
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