C'est un bref texte en forme de coup de poing. Une percussion, une pluie acide de mots criblés et perçants. C'est une vie dressée justicière puis cardée, agrafée dans l'étroitesse des normes et nécessités. Une vie rompue, fracturée en son centre mais jamais pliée ou rendue. Une vie qui ne s'incline pas. Sinon devant la douceur. C'est une voix sortie des fers, balafrée de tous côtés et au travers de tous les ronciers, qui exhale une rage sourde et une profonde fatigue. Une voix rassasiée de coups, calcinée de temps mort.
Une voix assenée mais fêlée aussi, une vie en jachère, une vie suspendue qui tente, cahotante et claudicante, de reprendre son cours. C'est Valérie Straub, une demi-vie passée à l'ombre, une vie estampillée terroriste pour avoir tenté de rétablir l'équilibre, pour avoir tiré à bout portant dans l'abus de pouvoir et supprimé une autre vie, celle d'un potentat qui tirait tout à soi.
L'auteur la saisit, Valérie, à sa sortie de prison et accompagne ses premiers pas, ses premières semaines de femme libre. Il met en place de nombreux dispositifs pour attraper, dans toute leur complexité, les états qu'elle traverse. Il alterne la narration classique à la troisième personne, le compte rendu à la première personne, un passage craché, rageur en diable, à la deuxième personne, et les extraits d'une lettre que lui adresse, post-mortem, son frère Simon.
Pour épauler Valérie, l'accompagner dans sa réinscription, il y a Isa, qui sait, qui l'a précédée dans la géhenne du dedans et dans la violence du dehors quand on la réinvestit sans préavis et sans précautions. Il y a aussi Clara et Pablo, les employeurs d'Isa qui vont devenir ceux de Valérie et puis il y a le domaine arboricole qu'elle va progressivement apprivoiser. Et puis, inespérément, dans une effraction de lumière, les lèvres, les mains de Pablo qui sont les meilleurs émissaires possibles, les plus efficaces sutures avec la vie ravivée.
Et, bien sûr, il y a Simon et sa voix d'outremonde. Simon qui, au fil des années obscures et séparées, adressa à sa soeur les ondes d'une tendresse qui jamais n'a désarmé
Tout serait presque édénique si Valérie n'était pas clivée. Car il y a d'un côté Valérie qui adhère au monde, qui aspire éperdument à une vie revirginisée, et de l'autre Straub qui ne décolère pas, qui n'a pas fini d'en découdre et que taraudent les haines anciennes...
En si peu de pages se déploie un éventail très vaste des possibles humains et une palette non moins vaste des émotions les plus cruciales, les plus profondes.
C'est un précipité, une canonnade de vie qui tire sur le lecteur à boulets rouges.
La maîtrise, l'élégance nerveuse et la violence contenue de la langue, détonations sèches qui claquent, impressionnent.
Une poignante réussite.
BH 04/12