Natacha Michel est une flibustière qui opère ni en eaux troubles ni en eaux profondes ni dans le grande large, mais dans des eaux houleuses qui les mêlent toutes.
Elle préside surtout aux ondes bouillonnantes, à une incessante effervescence. Effervescence à laquelle la coupante précision de son verbe interdit cependant le flou et la confusion.
Notre romancière orchestre, avec une redoutable maestria, une partition aussi complexe que pétillante laquelle entrelace des motifs aussi variés que l’amitié plurielle, l’amour bafoué, la tentation de l’engagement politique, la guerre d’Algérie, l’ivresse du frais savoir, les découvertes tous azimuts, les rapports de pouvoir, de désir et d’amour entre des âges et des sexes qui n’auraient jamais dû se télescoper…
C’est surtout une merveilleuse chronique de l’amitié au sortir de l’adolescence laquelle poudroie en ses déclinaisons et ramifications multiples, et cela au travers de cinq portraits de jeunes filles, ciselés et qui s’animent et s’enrichissent à mesure. C’est d’un trépidant roman de formation amoureuse, sensuelle, politique et poétique, un kaléidoscope étincelant qui s’emballe, tourne à une vitesse folle et se focalise tour à tour sur tel personnage ou telle façon d’être au monde.
Mais, en dépit de cette variété et de cet incessant tournoiement, il y a un foyer central, un motif central à partir de quoi tout rayonne et se déploie.
Il s’agit de Marianne, forte tête et cœur brisé car éprise inconsidérément d’un garçon sombre, égocentré, inapte à l’amour. La faillite de cette passion éduque, architecture, élève notre héroïne qui découvre la radiance et les infinies ressources de l’amour oblatif.
C’est à partir de cette expérience liminaire et mortifiante que tout va fleurir et fuser.
Au centre du dispositif, donc, Marianne, être de passion, esprit frondeur, épris de liberté et qui se distingue et spécialement par ses passionnelles et multiples amitiés.
Il y a Mélaine, la proche d’entre les proches, l’alter ego, mais aussi Colombe, Josèphe et Véronique. Chacune de ces filles réverbère et décline une facette de Marianne et cela nous vaut, disséminés à travers le texte des portraits enlevés, piquants, savoureux au possible. Mélaine est l’interlocutrice privilégiée, l’exigeante, la coriace qui se cogne à Marianne et partage ses appétits littéraires comme ses exigences spéculatives. Auprès de Colombe, Marianne retrouve les parfums et la candeur de l’enfance crue. Josèphe, elle, est la souplesse, la labilité, la vie vaporeuse, les conflits esquivés. Quant à Véronique, la dernière venue, elle allie les contrastes puisque c’est une érudite dessalée et intrépide, très affranchie sexuellement. Chacune de ces personnalités hautes en couleur s’affermit et s’enrichit au contact des autres.
Et hors l’amoureux défectueux, il y a deux autres garçons (Bruno et Romain), mais qui ne sont, ceux-là, que bénignité, innocuité et qui bénéficieront brièvement de l’adoubement, du sacre de l’amitié.
Et puis, aux deux tiers, le texte bifurque brusquement : Marianne qui était le cœur et le point de ralliement, s’efface au profit de Josèphe, partie en Espagne, et sur qui l’attention se concentre. Car là-bas, en Espagne, Josèphe sortira enfin de sa réserve, de son indétermination qui frise l'ataraxie et elle goûtera, elle aussi, aux délices de la séduction et aux affres de la passion amoureuse. Sauf que, dans son cas, l’objet de la passion n’est pas un jeune blanc-bec mais une illustre poétesse d’un âge canonique…
A tout ce furieux foisonnement, s’entrelacent des clins d’œil apocryphes : l’auteur imagine, malicieusement, que Marianne et Mélaine sont férues de deux femmes écrivains, profondément liées, baptisées « les sylphides » et en qui on reconnaît, à peine déguisées, Florence Delay et Natacha Michel elle-même. Et toute cette fresque bigarrée se déploie sur fond de guerre d’Algérie, d’interventions de l’OAS, d’activisme politique, et de manifestations étudiantes.
Et le style, facétieux et irrévérencieux à souhait, est un feu d’artifice, une fête de l’esprit car Natacha Michel travaille la langue, avec une jubilation manifeste et elle nous régale de crépitantes et mordantes trouvailles. Cette langue pleine d’espièglerie, de causticité, d’inventivité, est, en outre, d’une grande élégance.
Et le texte tout entier est travaillé, soulevé par une prodigieuse énergie.
Une vraie
réjouissance, une jouissance continue. Un fabuleux hymne à la vie.
BH 03/13
Retrouvez également l'interview de Natacha Michel par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.