C'est une injection vénéneuse qu'on reçoit, qu'on s'administre même délibérément avec délices. C'est un texte lustré par la précision acérée de ses mots, par la brillance et la beauté des choses décrites. Un texte tout en pointes, arêtes et aspérités et pourtant plongé dans un flou continu et vaporeux qui monte à la tête. C'est un récit atmosphérique et un magnifique portrait de femme.
Nous sommes à la Rochelle le temps d'un été aux contours indécis. L'horizon est délimité par la mer, le temps est scandé par le visage et le corps d'une femme. Le monde est vu à hauteur d'enfant. La femme, c'est Irène, l'enfant c'est Emile, son fils.
Emile observe, fasciné, les faits et gestes d'Irène. Mais si le charme opère, si on frôle l'envoûtement, Emile ne quitte pas sa position surplombante et critique d'observateur. C'est qu'il a une longue habitude de la vie sans Irène qui ne réinvestit son poste de mère que par intermittences, pendant les grandes vacances. Le reste du temps, il est laissé à la garde et aux bons soins d'une nourrice, Mme Clatz, personnage archétypal, femme débonnaire et bourrue, tendre et rugueuse comme il se doit.
Irène, elle, est une femme splendide, rutilante mais en proie à une irrépressible dissolution interne. Elle est inapte à conduire sa vie et donc à éduquer un enfant. C'est une petite fille épouvantée égarée dans l'enveloppe d'une femme fatale. Un noir mystère, un insoulevable secret gouvernent sa vie et aspirent ses forces.
Au cours de l'été dont il est ici question, une péripétie se présente en la personne d'un jeune marin polonais qui vient s'agréger au duo mère-fils. C'est presque le légionnaire de Gainsbourg "Il était beau, il était blond, il sentait bon le sable chaud". Aimanté par la sensuelle et toxique beauté d'Irène, happé par son aura énigmatique, le marin, Ladis, s'éprend d'elle. Et l'enfant assiste à l'amour des adultes, il devient l'amant de leur amour.
Irène magnétise et vampirise le jeune marin. Elle semble, prise dans l'orbe de cet amour, se raviver et se ragaillardir. Elle, souvent si dolente, si languissante, proie d'une dérive qui la cloue, d'un exil intérieur qui la retranche au monde, reprend subitement de la vigueur. Mais ce regain est de courte durée. Très vite, les troubles répaaraissent, semant la confusion dans l'esprit simple et droit de Ladis.
Ce texte est un récit hanté. Il est hanté par la figure d'Irène. L'un des tours de force de l'auteur est de nous faire appréhender Irène comme un être abstrait, soustrait, fantômal, comme l'avatar spectral de la femme qu'elle aurait dû être. Elle apparaît d'emblée comme un mythe, comme le décalque immatériel, vaporisé d'elle-même. Elle est ailleurs et elle est d'ailleurs. Tiyubant sur les bases de sa beauté fracturée, elle évolue, arachnéenne et sensuelle, sous les yeux de Ladis et d'Emile médusés.
Unis dans la fascination, dans l'amour blessé que leur inspire Irène, le fils et l'amant vont être, lorsque les événements se précipitent, projetés l'un contre l'autre.
Emile hérite, par contagion, par capillarité, du désir de sa mère pour Ladis. Il se l'innocule comme un poison salvateur.
Un récit, tissé d'étincelants contrastes. L'éblouissement naît du choc des antipodes. Un alliage d'âpreté et de douceur, de candeur et de perversité. Les situations présumées subversives sont présentées sur un mode léger, formulées dans un style cristallin.
Un récit comme une drogue, une pure hypnose.
BH 05/09
photographie de Philippe Mezescaze par Alain Manoha
Retrouvez également l'interview de Philippe Mezescaze par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.