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 Christoph Meckel par Livres-Addict.fr 

"Portrait robot Mon père, Portrait robot Ma mère" de Christoph Meckel (Quidam éditeur)

PortRobotMonPereGC'est un livre double à un seul tranchant. Un seul tranchant dédoublé. La piété filiale vue, visée et découpée sous un angle très singulier. Un regard qui cadre, coupe et dissèque, un regard chirurgical qui accomplit cependant le tour de force de n'être (pour une part, du moins) pas dénué de compassion ni d'amour.

Un texte qui prend d'assaut et à la gorge et ne lâche pas.

Quelques années après la mort de son père, l'auteur, Christoph Meckel, met la main sur le journal intime dudit père et les mots qu'il découvre alors manquent de l'anéantir tant ils exigent de lui un remaniement total, une refonte intégrale de l'image paternelle.

Il se met alors en devoir et en demeure d'écrire à partir de ce choc. Car si les écrits intimes mettent en lumière les traits saillants d'une personnalité singulière, ils sont aussi le portrait à  charge de toute une génération leurrée, aspirée par une illusion aussi fatale que complaisamment entretenue.

Ce père est allemand, adulte dans les année 30 et, bien que son fils l'ait vécu comme un intellectuel détaché des contingences, hermétique aux événements voire carrément éthéré, il se revèle, post mortem, tout autre : parfait complice du régime, en proie à nul sursaut de révolte.

L'écriture alors est chargée, sinon de rendre recevable ce scandale, du moins de l'absorber dans toute sa complexe violence et d'en rendre compte. Juste cela : rendre compte car il importe, pour pouvoir continuer à vivre, de se rendre des comptes à soi-même et de rétablir la vérité. Si coupante soit-elle.

Et ce texte est exemplaire en ce qu'il se situe programmatiquement à la croisée de l'intime et de l'universel. Autrement dit, il accomplit ce que tout écrivain ambitionne de faire.

Au fil du récit qui progresse comme un rapport clinique, affleurent des traits, se dégagent des dispositions qui éclairent possiblement la dérive.

Ce père, en effet, était un adepte de l'ordre, un fervent de l'autorité (qu'il exerçait lui-même de manière abusive sur ses enfants) mais aussi un homme attaché au passé, aux traditions, au terroir, un être pétri de peurs et donc rétif à tout changement. Plus subtilement encore, c'était un homme profondément blessé, enfant "regurgité" par un père saturnien et dont le maître-mot était : "le réconfort". Il cherchait à se conforter, se réconforter par tous les moyens et n'était donc disposé à aucun saut dans le vide. Et, de même, bien que doué, s'il n'a jamais véritablement percé en tant qu'écrivain, c'est faute d'audace, d'intrépidité, faute de cette révolution interne qu'il s'est refusé à accomplir. D'abord père solaire, souverain incontesté, il est devenu, aux yeux de son fils, une divinité fêlée et vacillante et, finalement, au travers de l'écriture, un modèle caduc, un maître inversée et renversé, tout de suite largement dépassé.

Ce qui bouleverse, c'est l'émotion qui affleure (mais ô combien contenue et tamisée) au travers de ce texte qui se veut implacable et qui l'est. Le portrait à  charge se mue in fine, in extremis, en une sorte d'hommage presque involontaire. L'amour, la compassion l'emportent, les rares instants lumineux qui furent partagés sont arrachés à l'abjection, sauvés de l'oubli. Si le  père n'est en aucun cas absous, il est (dans la pleine acception du terme) compris par son fils.

portraitOn se trouve aussi face à une pénétrante réflexion sur les pouvoirs et les limites de l'écriture : pour l'auteur, le père n'est pas un sujet, tout au plus un projet qui, perpétuellement, se dérobe à toute prise. Et de même que l'écriture ne peut prétendre épuiser la complexité de l'humain que fut le père, elle altère son intégrité, son essence même puisqu'on entre dans le champ de la fiction dès lors qu'on écrit - fût-ce au plus près des faits avérés. 

Vingt ans après, Christoph  Meckel s'est livré à un exercice analogue et complémentaire : c'est sa mère qui, cette fois, a été l'objet de sa fouille scalpellisée. Le texte qui en résulte est d'une froideur absolue, bien moins empreint de tendresse que le précédent.

La femme qui est portraitisée apparaît comme une bourgeoise rigide et frigide, incapable d'aucune chaleur vraie et dont les élans d'amour n'existaient que calibrés et circonscrits par les normes en vigueur. De cette femme dont Christoph Meckel annonce d'emblée qu'il ne l'a pas aimée ressortent les traits suivants : boursouflée d'arrogance, confite dans une religiosité de pacotille, elle n'a jamais vécu que pour l'apparat et sa vie, entièrement soumise au conformisme ambiant, fut une fausse note intégrale.

Le père bien que fangeux, est perçu comme un être humain, la mère non. Cela semble être un livre sur la culpabilité du père et c'est la mère qui est condamnée. Un texte glaçant, radical, sans un atome de complaisance. Un texte qui ne concède rien.

On sort suffoqué de cette double lecture qui uppercute. L'écriture est d'une puissance saisissante et visionnaire en ce sens qu'elle est, avec un temps d'avance considérable, d'une modernité absolue. 

Une révélation.

BH04/11

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