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 Sophie Koltcha par Livres-Addict.fr

"La fille de l’air" de Sophie Koltcha (Mercure de France)

Voici un texte comme un tour de prestidigitation infiniment délicat. Un texte qui cache son jeu et ses enjeux ou plutôt qui les dévoile à mesure, et par petites touches, mais de manière si subtile et virtuose qu’on est à la fois charmé et comme étourdi.

On pourrait croire à un énième roman d’apprentissage, à une classique éducation sentimentale et les figures travaillées sont on ne peut plus éculées puisqu’il s’agit d’une part de la jeune étudiante piquante, intrépide s’éprenant d’un quadragénaire marié et d’autre part de l’amitié passionnée, teintée de désir mimétique, que la narratrice éprouve pour ladite étudiante.

Mais ici tout est brouillé, savamment redistribué et le texte n’a rien d’une romance. L’originalité du dispositif tient au fait que les événements sont filtrés, reconfigurés, réorchestrés par la narratrice dont transparaissent (sans que rien ne soit jamais explicite) les sentiments ambivalents. Et rien n’est fixe, il y a une circulation constante entre plusieurs axes qui parfois se touchent et parfois se chevauchent.

Les données sont les suivantes : Lucie et la narratrice sont issues d’une petite bourgade du Sud de la France. Elles sont fondées sur une géographie et une enfance communes. Mais entre elles se déclare et joue le clivage classique : Lucie est l’éclat, le feu fusant, celle qui aimante et rassemble tous les suffrages cependant que la narratrice, plus terne, ingrate, ne se distingue que par l’éclat de ses résultats scolaires. Il y a donc une partition tranchée des rôles : la narratrice se cantonne dans celui de témoin, de spectatrice, préposée à rendre compte de l’existence tumultueuse, radiante de Lucie qui, elle, incarne la vie crue.

Ainsi, ladite narratrice consigne scrupuleusement les infimes variations et fibrillations de l’amour, aussi fervent que condamné, que Lucie conçoit pour l’énigmatique J. Amour improbable car Lucie l’éclatante s’étant exilée dans la ville-lumière, on s’attendait plutôt à ce qu’elle s’amourache d’un brillant parisien.

Or à Paris et dans la vie de Lucie, les hommes défilent sans jamais laisser d’empreinte décisive sur son corps. Et, contre toute attente, donc, c’est lors d’un retour dans son village natal que Lucie s’éprend éperdument.

Et le texte se déploie sur trois lignes simultanées: le contraste entre Lucie et la narratrice, le va-et-vient (temporel et spatial) entre ce que Lucie expérimente à Paris et la véritable cuisance, le point névralgique qu’est son amour pour J. « au pays », à quoi s’ajoute la chronique vibrante de ce qui se produit au village en l’absence de Lucie.

Le texte se joue magistralement des clichés et déjoue les pistes et circuits attendus. Avec une liberté souveraine, la narratrice bondit d’un matériau à l’autre, d’un champ exploratoire à l’autre. Elle multiplie les ellipses, les coutures inusitées, les tissages singuliers.

Elle use, en outre, d’une langue fort séduisante, aussi élégante qu’inventive, toute de pointillismes, de piquetures étincelantes.

C’est une écriture tendue, dépouillée, une écriture par à-coups, toute de ciselures tendres, de poinçons cruels, de lyrisme contenu.

Un premier roman et une vraie découverte.

BH 03/13

              

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