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 Victoria Horton par Livres-Addict.fr 

"Attachements" de Victoria Horton (Quidam éditeur)

image_hortonLe texte de Victoria Horton est une savante et subtile traîtrise. Il se déroule d'abord longuement comme un ruban pâle et soyeux, sans aspérité repérable ou prononcée. On pourrait presque confondre et lui confier un rôle dans une confite et assommante cérémonie familiale tant il paraît tout d'innocuité. C'est un roman épistolaire à la mode contemporaine c'est-à-dire qu'aux classiques missives se mêlent des mails (ou courriels) et la célérité, l'instantanéité qui caractérisent ces envois-là traduisent bien l'urgence dans laquelle se trouvent les personnages. L'urgence est (mal) masquée mais on se trouve au coeur d'une quête aux allures d'enquête, une enquête qui va se révéler presque policière et aussi très psychanalytique. Tout s'amorce sous des auspices pourtant apparemment anodins. On croit être aux prises avec une femme, Anna, qui, mue par une impulsion injustifiée, s'est mise en tête d'exhumer un pan de son passé et de débusquer, notamment, une certaine Juliette. On croit d'abord que tout cela n'est rien, rien qu'une pulsion intempestive, une drôle de lubie, un caprice émanant d'une femme fantasque comme s'il s'agissait de rien d'autre que combler les pages manquantes ou pillées d'un album photographique. Il y a d'ailleurs quelque chose de sépia et de suranné dans ces pages...

Le texte débute par un récit qui est une sorte d'historique, qui dresse l'état des lieux d'une petite communauté quasi villageoise dans les années 70. L'intérêt et le sens de ce texte inaugural ne se découvriront que plus tard de même que l'identité et la fonction de celui qui en est l'auteur. Et ainsi de l'ensemble du roman : les éclaircissements sont indéfiniment différés si bien que le lecteur circule aveugle dans un dédale qu'il n'apprivoise qu'à mesure et imparfaitement. C'est l'énigme qui gouverne. 

image_victoria_hortonTrès vite, dès après le récit introductif, débute le jeu des correspondances croisées et c'est Anna qui semble le mener. Elle prétend être missionnée pour exécuter la volonté désormais posthume d'un certain Marcel. Ce dernier fut le second compagnon de Juliette laquelle opérait en tant que bonne lorsqu'Anna était enfant et voilà qu'Anna est désormais dépêchée par ledit Marcel pour retrouver cette feme dont tous semblent avoir perdu la trace.

Anna écrit d'abord à un dénommé Roland qui lui répond de manière aussi précieuse qu'abrupte et dont on ne saisit pas plus qui il est que ce qu'il a pu être.

Pas découragée pour si peu, Anna poursuit sa quête et elle est peu à peu amenée à renouer avec son frère Henri et avec Noëlle, son ex-belle soeur qui fut aussi son amie de jeunesse. L'on comprend, au fil des échanges, qu'Anna et Henri, qu'Anna et Noëlle ne se sont pas revus depuis un temps immémorial et cela en raison d'un événement traumatique qui affleure et sous-tend la correspondance sans que jamais crève l'orageuse charge implicite. Une constellation humaine se reforme dont on pressent qu'elle fut un cercle magnétique, hanté voire maudit. Aussi les membres de cette  communauté inavouable ne s'approchent-ils, des années après, qu'avec d'infinies précautions.

Seule Anna fonce sans frein et, dans son indéfectible entêtement, elle finit par mettre la main sur la fameuse Juliette qu'elle interroge jusqu'à plus soif sur ses rapports conjugaux avec ses deux maris successifs, rapports dont il apparaît qu'ils furent teintés d'une grande violence. Cet interrogatoire acharné, obsessionnel, paraît parfaitement arbitraire jusqu'à ce que se fasse jour le sens véritable de la quête et c'est alors comme une déflagration, un effet de surprise si violent doublé d'une émotion si violente que le lecteur en est foudroyé. Anna se promène au fil du texte comme une énigme aussi impénétrable qu'attachante. Tour à tour rugueuse ou tendre, âpre, corrosive, provocatrice ou presque implorante selon les interlocuteurs et les jours, elle échappe et fascine à proportion qu'elle échappe.

Et ce qui, également, dans la matière même du texte, fascine, c'est le caractère indécidable de tous les personnages autant que des situations : la narration est si finement menée et sur le fil d'une telle sensibilité que les pulsations de la vie sont restituées dans toute leur miroitante et terrible complexité. 

Et cette force et cette subtilité qui caractérisent l'écriture de Victoria Horton interdisent de poser le moindre jugement définitif. Si bien que chacun est, implacablement, renvoyé à lui-même.

Une poignante et magistrale réussite.

BH 02/11

Retrouvez également l'interview de Victoria Horton par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.

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