Les poèmes ici rassemblés sont
d’une délicatesse telle qu’on peut longtemps ignorer quelle est la
nature de la douleur évoquée et combien elle est perçante. On peut
confondre, croire que l’homme qui exhale sa douce plainte déplore la
défection d’une femme aimée.
La gravité réelle de la perte subie ne se dessine que graduellement, au fil des mots aériens, presque vaporeux de Matthieu Goztola. On dirait que l’auteur a à cœur d’épargner, non seulement lui-même et le lecteur, mais le texte lui-même : c’est comme s’il veillait à ne pas trop brutaliser les mots afin que la douleur, si brûlante, ne se propage pas trop vite ni trop loin. C’est une tentative de circonscription de la douleur qui pourtant s’échappe et imprime sa marque de manière d’autant plus prégnante.
Au fil de touches infiniment ténues et doucement distillées, on apprend, ou plutôt on comprend, et de manière presque subliminale au début, qu’un enfant a disparu et que c’est là la béance fondamentale autour de laquelle s’articule le texte.
Ce qui sème le trouble et parfois la confusion, c’est que le texte alterne les passages narratifs et les adresses directes au disparu. Or ces adresses, éperdues, pourraient être déclarations à la femme aimée et vaporisée.
Et il y a, tout au long du recueil, disséminées, des évocations légères comme des effleurements. Evocations des gestes simples qui ponctuent un quotidien désormais troué, spolié de partout.
Ce sont comme des caresses à vide qui ne délivrent pas instantanément la violence inversée de leur impact.
Ainsi :
« Ton visage
reste
Sans lendemain
Des inconnus ont envoyé des
Fleurs
Tu ne les aimais pas tu préférais les
Papillons
Les déshabiller de l’image que tu te
Faisais d’eux
En les regardant voleter autour des
Fleurs »
«
Il y a eu un temps de pluie
Tout de suite après
Mes pensées sur toi pour recouvrir
Ton corps
Sa nudité franche »
« Tu étais celui
qui vient en partant
Même quand tu restais des heures
Sur ta petite chaise
Tu étais celui qui lève un seul
Vrai regard
Puis s’en va à pied chuchotant
Dans les pensées »
« Chacun de tes
sourires fait
Naître
Comme un monde
Mais ensuite tu ne veux pas
Y habiter avec moi
Tu préfères le débusqué
Des chemins d’épines
Avec des ciels nuageux
Et incertains »
« Ca me manque
beaucoup
Que tes silences
Ne me parlent pas »
« Je te dis que tu es
chaque fois
Considérable
Il se passe à chaque fois
Quelque chose
Dans
ton visage »
« Je vais me mettre
Dans ce qui passe »
«
J'aimerais être un abri
Jamais une question
Mais tu me vois comme celui
Qui ne comprend
Pas je crois »
« Ca me plaît d'être
dans ton
Coeur
Et de ne pas chercher la
sortie
Car j'entends alors moi aussi
Les cris
Qui se partagent l'espace
Je cherche à les prendre
Dans mes bras
Pour qu'ils se calment
Eux »
« La douleur et
l'angoisse d'en toi
Viennent
Comme si elles étaient
La seule chose
J'aimerais juste leur ouvrir les
Yeux
Et leur dire regarde »
« Je n'arrive pas à
décrire ton
Visage
Comme une eau bouleversée
De ne jamais
Se retrouver vraiment
Et de toujours devoir changer
La géographie exacte pour que
Ca recommence
Toujours mais pour
Disparaître toujours »
Une infime cantilène comme une ellipse, une incantation qui se dépare et se défend de tout effet, une invite amoureuse, une convocation infiniment aimante qui est une injonction chuchotée et la typographie bousculée et le rythme syncopé prennent en charge tout ce qui n'est pas dit.
Une douleur dite et déposée, mais une déposition des armes et de toutes choses ensemble, une déposition en douceur, comme murmurée et comme pour ne pas déranger. Des mots à peine pondérables comme traces d’oiseaux sur la neige ou sur le sable et que la mer efface. Une parole dédiée, vénérante, infiniment donatrice, une parole qui se dépouille, se dénue de son propre fond à mesure qu'elle est proférée.
L’empreinte vive n’en est que plus poignante et la nudité du verbe, ici, tutoie l'absolu.
BH 02/13