Gombrowicz
est un prestidigitateur qui nous balade dans les bois sombres, dans la
forêt touffue de ses fantastiques et fantasmagoriques divagations.
Cette fois, il s'attaque au chapitre de l'érotisme qu'il s'attache à
renouveler et il y réussit au-delà de toute espérance : il va si loin
dans l'insolite, dans le dépaysement que la déroute est aussi totale
qu'est complet l'enchantement. Car il invente des chemins et des
cheminements qu'on ne savait pas pouvoir emprunter. Et il égare, avec
une évidente délectation, les processus et les procédés ordinaires. Tout
d'abord, Gombrowicz l'espiègle, le joueur, se met en scène lui-même ou
un alter ego plus caustique que nature et affublé de son patronyme. Il
se décrit, débarquant, sans ambages ni egards, désinvolte et dégagé,
flanqué de son acolyte Frédéric, chez Hippolyte, bourgeois dans toute
sa médiocre splendeur et possesseur, à la campagne, d'une vaste demeure
entourée d'un parc. Dès
lors, les deux acolytes, sans aucunement se concerter mais mus par une
impulsion identique, ourdissent leur plan. Il s'agit de précipiter
Hénia et Karol l'un contre l'autre, de faire en sorte que le duo
amical, tout d'innocuité, se mue en un irradiant et subversif tandem
amoureux. Subversif car un obstacle se dresse, et de taille : il se
trouve que la capricante Hénia est fiancée, promise par ses amidonnés
parents à un homme "fait", un notable qui répond au nom d'Albert et
séjourne lui aussi dans la propriété. Cela
dit, pour nos héros, l'enjeu va bien au-delà d'une manoeuvre
vaudevillesque. Il s'agit d'arracher l'amour à la corruption, de le
rendre à la fraîcheur, à la beauté édénique de l'adolescence. Et, ce
qui se développe au fil du texte, c'est une esthétique doublée d'une
éthique très particulière, propre à Gombrowicz : l'âge adulte est la
lie, la déchéance de l'être humain, seule vaut la jeunesse et
l'immaturité est la cime. Du
reste Frédéric et le narrateur ne se plaisent pas entre eux, chacun
étant le miroir de la décrépitude de l'autre. Quant à leurs hôtes, ils
leur inspirent la plus vive répugnance, eux qui barbotent en toute
insouscience dans la fange, installés qu'ils sont dans le bourbier de
l'âge adulte. Ce n'est qu'au contact de Karol et d'Hénia que nos deux
Machiavel quittent le territoire de la momification et reprennent vie.
Et donc, pour que leur règne, pour que le règne de la dive jeunesse
arrive, il faut absolument provoquer la fusion de ces deux-là. Surgit
alors un autre fleuron de cette glorieuse et convoitée jeunesse en la
personne de Skuziak, un jeune miséreux qui'assassine (semble-t-il
accidentellement) l'auguste mère (seule adulte qui trouve grâce aux
yeux du narrateur) d'Albert. Ce drame est une aubaine aux yeux de
Gombrowicz (le réel et l'avatar) : en effet, selon lui, l'érotisme ne
peut éclore parfaitement que sur fond de complicité criminelle. Le
jeune Skuziak sera donc séquestré, officiellement dans l'attente d'un
jugement et parce qu'il est comptable de son crime mais il constitue en
réalité, pour nos compères, un potentiel coorosif inespéré qu'ils
entendent employer au mieux... L'âge adulte, âge déchu et dégradé n'a
jamais été décrié avec tant de mordant, tant d'incisive ardeur et une
si folle inventivité puisque l'antidote à cette dépravation ne se
trouve que dans l'infraction au tout premier commandement... Tout
cela grinçant en diable, déroutant à souhait et tout à fait
fascinant... C'est féroce, irrévérencieux, glaçant, jubilatoire, inouï. Une
singularité absolue, une approche de l'érotisme et une célébration de
l'âge "tendre" sans équivalent... 12/09
Frédéric
est un individu louche, une sorte de jumeau astral, spirituel, de
l'avatar de Gombrowicz. Ensemble ils se meuvent, immergés dans cette
villégiature improvisée et en compagnie d'Hippolyte le brave et son
évanescente épouse, dans un ennui torpide et dissolvant. Il n'y a là
rien qui puisse les aimanter. Par bonheur, ledit Hyppolyte, par trop
inoffensif et la fleur de serre qui lui tient lieu de femme ont
procréé. Hénia, adolescente tout juste éclose et qui présente aux yeux
des compères un intéressant potentiel vénéneux. Cependant, seule, Hénia
est sans promesse, sans horizon, elle ne vaut qu'alliée, appariée à
Karol, son ami d'enfance lequel produit immédiatement sur le narrateur
une commotion émotive d'une rare acuité. Et il perçoit, sur le visage,
dans les yeux de Frédéric et onde sismique à l'appui, que la collusion
des deux jeunes gens occassionne chez lui une épiphanie analogue.