Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Witold Gombrowicz par Livres-Addict.fr 

"La pornographie" de Witold Gombrowicz

Gombrowicz est un prestidigitateur qui nous balade dans les bois sombres, dans la forêt touffue de ses fantastiques et fantasmagoriques divagations. Cette fois, il s'attaque au chapitre de l'érotisme qu'il s'attache à renouveler et il y réussit au-delà de toute espérance : il va si loin dans l'insolite, dans le dépaysement que la déroute est aussi totale qu'est complet l'enchantement. Car il invente des chemins et des cheminements qu'on ne savait pas pouvoir emprunter. Et il égare, avec une évidente délectation, les processus et les procédés ordinaires.

Tout d'abord, Gombrowicz l'espiègle, le joueur, se met en scène lui-même ou un alter ego plus caustique que nature et affublé de son patronyme. Il se décrit, débarquant, sans ambages ni egards, désinvolte et dégagé, flanqué de son acolyte Frédéric, chez Hippolyte, bourgeois dans toute sa médiocre splendeur et possesseur, à la campagne, d'une vaste demeure entourée d'un parc.

image_gombrowiczFrédéric est un individu louche, une sorte de jumeau astral, spirituel, de l'avatar de Gombrowicz. Ensemble ils se meuvent, immergés dans cette villégiature improvisée et en compagnie d'Hippolyte le brave et son évanescente épouse, dans un ennui torpide et dissolvant. Il n'y a là rien qui puisse les aimanter. Par bonheur, ledit Hyppolyte, par trop inoffensif et la fleur de serre qui lui tient lieu de femme ont procréé. Hénia, adolescente tout juste éclose et qui présente aux yeux des compères un intéressant potentiel vénéneux. Cependant, seule, Hénia est sans promesse, sans horizon, elle ne vaut qu'alliée, appariée à Karol, son ami d'enfance lequel produit immédiatement sur le narrateur une commotion émotive d'une rare acuité. Et il perçoit, sur le visage, dans les yeux de Frédéric et onde sismique à l'appui, que la collusion des deux jeunes gens occassionne chez lui une épiphanie analogue.

Dès lors, les deux acolytes, sans aucunement se concerter mais mus par une impulsion identique, ourdissent leur plan. Il s'agit de précipiter Hénia et Karol l'un contre l'autre, de faire en sorte que le duo amical, tout d'innocuité, se mue en un irradiant et subversif tandem amoureux. Subversif car un obstacle se dresse, et de taille : il se trouve que la capricante Hénia est fiancée, promise par ses amidonnés parents à un homme "fait", un notable qui répond au nom d'Albert et séjourne lui aussi dans la propriété.

Cela dit, pour nos héros, l'enjeu va bien au-delà d'une manoeuvre vaudevillesque. Il s'agit d'arracher l'amour à la corruption, de le rendre à la fraîcheur, à la beauté édénique de l'adolescence. Et, ce qui se développe au fil du texte, c'est une esthétique doublée d'une éthique très particulière, propre à Gombrowicz : l'âge adulte est la lie, la déchéance de l'être humain, seule vaut la jeunesse et l'immaturité est la cime.

Du reste Frédéric et le narrateur ne se plaisent pas entre eux, chacun étant le miroir de la décrépitude de l'autre. Quant à leurs hôtes, ils leur inspirent la plus vive répugnance, eux qui barbotent en toute insouscience dans la fange, installés qu'ils sont dans le bourbier de l'âge adulte. Ce n'est qu'au contact de Karol et d'Hénia que nos deux Machiavel quittent le territoire de la momification et reprennent vie. Et donc, pour que leur règne, pour que le règne de la dive jeunesse arrive, il faut absolument provoquer la fusion de ces deux-là.

Surgit alors un autre fleuron de cette glorieuse et convoitée jeunesse en la personne de Skuziak, un jeune miséreux qui'assassine (semble-t-il accidentellement) l'auguste mère (seule adulte qui trouve grâce aux yeux du narrateur) d'Albert. Ce drame est une aubaine aux yeux de Gombrowicz (le réel et l'avatar) : en effet, selon lui, l'érotisme ne peut éclore parfaitement que sur fond de complicité criminelle. Le jeune Skuziak sera donc séquestré, officiellement dans l'attente d'un jugement et parce qu'il est comptable de son crime mais il constitue en réalité, pour nos compères, un potentiel coorosif inespéré qu'ils entendent employer au mieux... L'âge adulte, âge déchu et dégradé n'a jamais été décrié avec tant de mordant, tant d'incisive ardeur et une si folle inventivité puisque l'antidote à cette dépravation ne se trouve que dans l'infraction au tout premier commandement...

Tout cela grinçant en diable, déroutant à souhait et tout à fait fascinant... C'est féroce, irrévérencieux, glaçant, jubilatoire, inouï.

Une singularité absolue, une approche de l'érotisme et une célébration de l'âge "tendre" sans équivalent...

12/09

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |