Ariane Dreyfus
écrit une poésie faussement limpide. Tout est là, semble-t-il, posé,
déposé, dans les mots simples et sans effet et cependant tout échappe.
Il se produit chaque fois un décrochement. Et l'éclat, aussi, est
ailleurs. Ces textes sont des esquilles, des éclats fragmentaires
prélevés sur des scènes et sensations quotidiennes. Il y a, surtout,
les plis légers, les rumeurs feutrées, les foudres lentes et les
pointes aiguës qui accompagnent l'amour quand il se fait, se partage
entre les corps.
C'est la saisie, impromptue mais en profondeur, de gestes à la volée, de froissements, de chuchotements, de fines et sapides saveurs, de ténuités: toutes choses qui d'ordinaire relèvent de l'indicible voire de l'imperceptible mais qu'Ariane Dreyfus recueille dans des mots simples et séminaux. Elle restitue à chaque choses son épaisseur, à chaque être son humanité plénière. Et c'est donc dans le voisinage de l'amour, toujours qu'on se trouve, quoi qu'on fasse et quels que soient les écarts et détours du poème. Le recueil est placé sous l'égide, sous la haute garde du peintre Gérard Schlosser et ce sont des bouts de toiles, des étoiles arrachées. C'est du pointillisme net et ciselé, ce sont des instantanés, infiniment sensitifs et sensuels, captés au travers d'une vitre qui tout recadre et tout décale simultanément.
Tout ce qui est évoqué est nu, perçant et cependant enveloppé, enveloppant, tendre et d'une infinie pudeur. C'est la quintessence de l'humain et la quintessence d'aimer qui, dans chaque miniature, sont convoquées. Et la nature est là, divinité tutélaire absolument immanente.
Ainsi dit par exemple
Ariane Dreyfus :
"Pour obéir à qui ?
L'amour est sans contours
C'est la nature, le ciel touche directement l'herbe
Chaque brin s'écartant de l'autre, le soleil passe
En perdant le visage pour seulement la lumière
Ou se tournant
Le dos aussi est en repos de leur histoire
Il est si heureux de ne rien lire d'eux
Il lui planterait quoi ? Ils sont fendus l'un à l'autre"
"La main sur le
visage deux mains
Il s'est approché il lui a déjà dit
Que seulement le corps, ce n'est possible pour personne
S'il aime la regarder ? Oui
Et qu'elle le regarde
Une très douce décision
Par exemple, le poignet pris entre les livres
Le chant à bouche fermée qui bouge"
BH 10/13