Mais
c'est aussi et d'abord un hymne éperdu à la femme aimée et perdue.
Cantate et thrène. Cadence incantatoire et Cantique des cantiques
ébouillanté, versé vif dans le chaudron des ténèbres. Le
coeur du livre, c'est Anna, femme sublime et épouse du narrateur qui la
vénère mais femme frappée, atteinte d'un mal sans remède, d'un cancer
de l'âme : elle courtise la mort, longe le néant avec passion. L'amour,
pour ces deux-là, se vit sur un mode absolu mais aussi sursitaire et
triangulaire : il y a cette tierce instance qui s'invite et s'interpose
constamment entre eux. Le
désespoir est térébrant mais il est aussi fleuri, luxueux, privilégié.
Entre deux crises on s'étourdit de mondanités, on croise des artistes
prestigieux (Helmut Newton, un musicien de haut vol, des actrices de la
nouvelle vague...), on part en villégiature à Rome, à Lanzarote... Un
calvaire de nantis, un calvaire doré et dandy mais un calvaire quand
même. Anna est un sombre joyau mais un pur joyau. Le narrateur brosse
d'elle un portrait à faire pâlir bien des héroïnes. Surtout, il lui
prête une grandeur d'âme qui ne trouve personne à sa mesure,
une
soif de se donner qui ne trouve pas à s'étancher ni à s'employer et une
faim d'aimer qui la consume et ne trouve pas d'aliment qui lui suffise. En
contrepoint se déploie un autoportrait féroce, sans concessions. Le
narrateur s'est assigné pour mission de protéger Anna, de différer le
plus longtemps possible l'inéluctable mais chaque fois qu'il
s'interroge, il pointe l'ambivalence qui l'anime : il est tout entier
dévotion pour Anna, il veut faire obstruction à la mort qu'elle porte
en elle mais, dans le même temps, cette part obscure le requiert,
l'envoûte et structure sa vie autrement vide de sens. Et cependant
qu'éclate la pureté d'une Anna dévastée mais brûlante d'amour, le
narrateur, lui, se complaît dans la luxure, s'abîme dans la duplicité,
enchaîne turpitudes et souillures qui l'écoeurent mais l'aimantent
irrésitiblement. L'écriture
est sobre, classique, presque sèche et cinglante par moments, d'une
coupante élégance à l'image de ces destins flambants, météoriques et
foudroyés. Une
perle noire. Un magnifique tombeau d'Anna. BH
09/09 C'est
un récit colchique. Un texte fleur-vénéneuse qui prend racine en vous
et diffuse loin dans le corps ses pousses et son magnétisme funestes.
Il y a un parfum à la Huysmans, des raffinements corrompus, une
jouissance perverse à étreindre la noirceur, un vif plaisir à se gorger
de délices décadentes.