Clémentine Henrion nous invite à un voyage plus que proustien. Le tour de force qu'elle a réussi, c'est de nous convier à une plongée toute sensitive, toute vive. Une immersion en adolescence. Elle a exhumé et rassemblé des reliques qui ressuscitent instantanément les années-collège. On parcourt l'exposition et, de panneau en panneau, tout revient, tout se réactive, tout est là qui saute au coeur, au corps, à la mémoire.
Il y a les photos en bande, garçons et filles, cheveux et corps emmêlés, photos festives ou vacancières, autour d'un feu ou de rien, immortalisant une soirée estivale, un concert, une fête arrosée, augmentée d'expédients, un moment initiatique. Et puis il y a les photos à deux, fille-fille, fille-garçon, garçon-garçon et les photos solitaires où chacun s'éprouve, souvent face à la nature, étalon suprême, essayant comme un vêtement mal coupé, son identité nouvelle.
Et les écrits, comme ils parlent, comme ils ravivent ! Il y a les poèmes tour à tour mélancoliques, exaltés, noirissimes ou explosifs qui restituent les états contradictoires, entrechoqués, successifs et parfois simultanés, ces états si singuliers qui sont l'apanage de l'adolescence : l'apathie, l'ennui qui confine au désespoir, le dégoût invasif, inflationnel mais aussi le bouillonnement des sens, l'excitation si vive qu'elle fait défaillir, qu'elle porte a vertige, les élans entransés, l'exacerbation de tout, sentiments et perceptions et le plaisir et la joie qui ne sont jamais sans côtoyer une forme de souffrance.
Il y a, bien sûr, les fragments de journaux intimes et aussi, épinglés comme de fragiles ailes détachées, les billets clandestins échangés en cours, messages fiévreux qui visent à désamorcer l'ennui, à panser les plaies en les disant ou qui s'enquièrent, en toute urgence, des dispositions de l'autre - garçon ou fille - l'amour potentiel, le coeur convoité.
Il y a encore de multiples témoignages des amitiés brûlantes et fusionnelles nouées à cet âge-là, passions qui semblent prendre parfois un tour homosexuel mais qui sont surtout speculaires, mimétiques, identitaires. Il y a une entrée en sixième magnifiquement décrite suivie d'une piquante description de l'équipe professorale au grand complet. Il y a une jeune Anna, une fiévreuse, au caractère trempé, profil de garçon manqué, qu'on aurait bien aimé connaître. On prend connaissance de tous ces trésors le coeur battant, le coeur serré avec la nostalgie qui prend le corps et le désir fou d'avoir encore cet âge-là, celui qui s'accorde le droit des extrêmes et tutoie et s'adjuge l'illimité...
Retrouvez également l'interview de Clémentine Henrion par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.
BH 09/09