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 Werner Schroeter par Livres-Addict.fr 

"La mort de Maria Malibran" de Werner Schroeter

image_maria_malibranLa "Maria Malibran" de Werner Schroeter est une divagation des plus siphonnées. C'est un kaléidoscope de visages d'une étourdissante beauté. Une splendide déraison, presqu'éthylique, déclinée jusqu'à plus soif sur une heure quarante de temps. Une ivresse, en tout cas, une griserie sans pareille. Mais qui aiguise les contours, les volumes, les arêtes, les angles plutôt que de les estomper.

Schroeter nous présente donc des bouquets de visages, des arrangements floraux. Mais ses compositions sont, en vérité, bien plus tripales que florales même si elles sont aussi d'une esthétique si travaillée, si raffinée, qu'elle en devient affolante. Et ces floraisons sont aussi bien plus vénéneuses et inquiétantes que doucement parfumées. Ce sont des visages sans innocuité et dont l'apparente innocence couvre des émanations ébrieuses et fatales.

Ce sont des duos, plus rarement des trios qui occupent l'écran, le devant de la scène, et ces visages convergents, corrélés, développent une geste et un dialogue muets dont l'objet et le sens sont laissés à la libre appréciation du spectateur. L'imagination est sans bride, orientée seulement par les très expressives vagues d'émotions qui passent sur les visages de même qu'elle est soutenue par les cavales d'une musique si parfaitement ajustée à la dramaturgie figurée que les images semblent presque procéder de cette même musique.

Quant aux visages, ils sont, comme de juste chez Schroeter, outrageusement fardés et d'un kitsch et d'une théâtralité parfaitement assumés. Les scènes, donc, consistent en un florilège de visages saisis par deux, l'un vers l'autre tournés, l'un par l'autre magnétisés, happés, et qui déclinent des figures indéchiffrables de même qu'ils inventent un langage impénétrable.

Ce dispositif est sans équivalent dans l'histoire du cinéma. On a pu évoquer les ébouriffants premiers films de Philppe Garrel ("Les hautes solitudes", "La cicatrice intérieure") et leur sauvage liberté décrochée de toute convention mais chez Garrel on trouve quand même toujours un fil narratif, si ténu soit-il, et jamais il n'a poussé la radicalité jusqu'à filmer exclusivement des visages (et Dieu sait pourtant que c'est un art dans lequel il excelle).

De même, on peut songer à "Shirin" d'Amos Gitaï, film dans lequel le cinéaste a pris le parti de filmer un film (un mélo, une légende populaire, le "Tristant et Iseult" du cru) mais du seul point de vue de la salle, des spectateurs ou plutôt des spectatrices. Autrement dit, on découvre et on devine le sens du film exclusivement au travers des émotions qui se peignent sur les visages (dûment sélectionnés et qui sont ceux des actrices les plus somptueuses du pays) des splendides spectatrices. Mais là encore, le procédé est soutenu par une intention clairement affirmée. Or ce qui caractérise "La mort de Maria Malibran", c'est que c'est une oeuvre sans intention aucune. D'une gratuité totale.

Et l'on peut déplorer que, dans la dernière fraction du film, cette gratuité furieuse et flambante cède le pas à une réalisation beaucoup plus cadrée et scolaire (toutes proportions gardées bien sûr), comme si Schroeter, subitement saisi de tardifs scrupules, s'avisait du caractère météorique de son film et s'appliquait à en justifier in extremis le titre. Cela donne lieu à des séquences erratiques et assez fastidieuses lesquelles retracent censément (et de très loin) quelques scènes biographiques, la biographie en question étant celle de ladite Maria Malibran, mythique cantatrice du début du XIXème siècle, tragiquement fauchée à la l'âge de 28 ans. On a par exemple droit à quelques épisodes neigeux et vaguement gothiques dans lesquels la grande (à tous les sens du terme) Montezuma endosse le rôle du père-ogre de Maria.

Si l'on excepte cette dernière et superfétatoire partie, ce film est un tour de force et il est d'une force aussi prodigieuse qu'atomique. Les actrices choisies (Magdalena Montezuma donc, l'inévitable, mais aussi Ingrid Caven, Christine Kaufmann, Candy Darling et Manuela Riva) sont toutes dotées d'une beauté singulière, saillante et aussi magnifiquement distinctes les unes des autres que possible.

Une épiphanie.

BH 01/11

"L'ange noir" de Werner Schroeter

image_schroeterDans "L'ange noir", Werner Schroeter ne nous  invite pas seulement à une approche du Mexique insolite, altérée et profodément remaniée, il nous plonge dans un chaudron bouillant de sensations catapultées, de visions électrocutées autant qu'écartelées.

Le film se déploie sur deux versants entremêlés : une part qui rend compte de l'état délabré d'un Mexique contemporain en proie à une accélération et une corruption galopantes et l'autre front, infiniment plus présent et même aspirant, et qui consiste en une évocation-invocation des dieux anciens et cela à la manière tout à fait hantée de Schroeter.

A la ruine progressive qui affecte le Mexique actuel, tout de trépidation et d'avidité déspiritualisée, répondent les corps faillis de deux femmes qui fortuitement  se percutent sur les marches d'un temple car elles sont animées d'une aspiration commune : toutes deux sont en quête de l'esprit enfoui des dieux anciens.

Le film progresse au fil de téléscopages abrupts entre l'ancien et le nouveau monde. Il y a d'un côté la réalité actuelle plate ou sauvage crachée par un poste de radio tressautant dans un taxi lancé à vive allure et, de l'autre, les deux femmes, corps possédés et visages altérés par une transe extatique car frappés par l'intemporel et par l'empreinte divine. La partition s'effectue entre le délitement et l'expansion. Une autre ligne de démarcation traverse le film : celle qui sépare le corps des deux femmes. Car à la beauté étrange, et plus que jamais hypnotique (autant qu'hypnotisée) de l'inamovible Magdalena Montezuma s'oppose la singulière laideur blonde, sèche et flétrie d'Ellen Umlauf et, s'il n'y a pas de récit ni nulle linéarité, tout, en revanche s'articule autour de ces contrastes, de ces corps pris dans un ballet convulsif d'attraction-répulsion. Magdalena Montezuma, parfait androgyne, passant du féminin le plus languide au masculin le plus durci, visage et corps renversés, ployés, fléchés de surnaturel, révèle de particulières dispositions à incarner la transcendance. Elle est aussi Protée : tour à tour presque masculine, visage sculptural du chérubin sévère et quasi déesse elle-même ou alors femme futile et fatale, buste dénudé, revêtant, devant sa coiffeuse une longue et brune perruque de cheveux raides, elle aspire littéralement l'image dans le flux de son magnétisme. Nul doute, l'ange noir, c'est elle ...

BH 01/11

"Macbeth" de Werner Schroeter

image_schroeterLe "Macbeth" de Werner Schroeter est une aberration grandiose. C'est la pièce de Shakespeare combinée au livret de Verdi et cela donne lieu à un opéra punk. Un opéra que les personnages interprètent lèvres closes, visage halluciné.

Lady Macbeth est rousse comme toute sorcière qui se respecte, elle ressemble à s'y méprendre à Greta Garbo, elle lui a emprunté la netteté et la froideur de ses traits. Etrangement, ce n'est pas la grande, la magistrale Magdalena Montezuma qui campe Macbeth. Pour l'occasion, Schroeter lui a imposé une nouvelle épreuve métamorphique, presque contorsionniste : créature indécise, innommée et inassignable, la voilà qui surgit, crâne sommé d'un duvet hirsute d'oisillon, buste intégralement dénudé où pointent, qui aimantent irrépressiblement le regard, deux seins quasi inexistants d'adolescente. Le trouble ainsi suscité est extrême et cette sinueuse pythie ondule et ondoie, épousant une cadence interne autiste et pâmée qui achève de stupéfier. Macbeth, quant à lui, est une présence fixe spoliée de sa substance. Les scènes se succèdent dans une anarchie ébouriffée, portées par des personnages hiératiques baignant dans une lumière crépusculaire.

Les chants sont bleutés comme salves ecchymosées de sang royal s'écoulant hémorragique.

Tout est majestueux, spectral, frappé d'une inquiétante étrangeté. Mais tout est aussi d'une si souveraine liberté qu'elle en devient ludique, jubilante, défoulatoire et que ces arabesques si sophistiquées s'apparentent par moments à de cocasses, allègres, déliantes, délirantes et riantes mômeries.

Et là où passe Werner Schroeter ne repousse l'herbe d'aucun classicisme, d'aucun réflexe conditionné, d'aucune attitude apprise ou acquise.

Une grandissime déraison.

BH 01/11

"Salomé" de Werner Schroeter

image_schroeterLa "Salomé" de Werner Schroeter est une somptuosité ruinée, une plainte vénéneuse et malade, un organisme tentaculaire et cancéreux, attaqué de partout par la toxicité qu'il sécrète en ses propres tréfonds cependant qu'il projette un éclat parfaitement radioactif.

Werner Schroeter a adapté l'épisode biblique réécrit par Oscar Wilde et tout devient une histoire de désir frénétique et dédaigné, mué en furieuse pulsion vengeresse.

Il y a unité de lieu et répliques déclamatoires : tout est théâtral de bout en bout. Salomé est une affolante créature androgyne et chichiteuse qui exige, minaude, piaffe, trépigne et psalmodie son instant désir. Hérodiade est une harpie sèche et aviforme. Quant à Hérode, il est campé par l'immense Magdalena Montezuma qui est, pour l'occasion, chauve, blafarde, imposante, d'une écrasante et chlorotique majesté, d'un magnétisme qui va chercher dans des fonds primitifs, terrifiants, tératologiques.

L'intrigue wildienne est simplissime : Salomé, la belle rouée jette son dévolu sur Iokanaan, le prophète halluciné et doué d'une grâce égale à la sienne. Elle le poursuit de ses assiduités mais lui, tout requis qu'il est par ses incessants colloques avec l'outre-monde, ne daigne pas lui accorder un regard. Salomé ne désarme pas pour autant et le crible d'une prière incantatoire hypnotiquement répétitive : elle veut ses lèvres et n'aura de cesse qu'il les lui cède. Seulement, le refus qu'opposera l'irradié Iokanaan à Salomé la possédée sera aussi total que définitif. Et aussitôt se met en marche la mécanique vengeresse dont l'instrument sera le colossal Hérode, atteint en ses fondements, percé au flanc et considérablement affaibli par le désir fou que lui inspire sa belle-fille. Il veut la voir nue et sollicite la danse aux sept voiles. Et elle, murée et muée tout entière en mécanique pure, scande et psalmodie interminablement, corps onduleux et visage rapté, la même requête : la tête coupée de Iokanaan. Corps décapité, prix exorbitant d'un désir exorbité. Corps meurtrier et à jamais meurtri pour qui, à jamais amputée de son autre, n'a pas eu les lèvres fleuries du baiser convoité.

Si l'on excepte l'épisode de la danse au cours duquel Salomé serpente à ravir et révèle un corps de garçonne, maigre et racé, des plus troublants, la mise en scène est très statique. Hérode est un bloc livide, fantomal et somnambulique qui paraît rongé par une lèpre intérieure et Salomé est pareillement hantée et arrachée à ce monde. Le désir, selon Werner Schroeter, est pâle, infectieux, mortel. C'est une outrancière affection des plus toxiques qui fait le corps exsangue et l'esprit insensé.

Et Magdalena Montezuma est magistrale d'avidité absente, de boursouflure effondrée.

Une oeuvre saisissante, spectrale, d'une beauté navrée et lézardée.

BH 01/11

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