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Lucia Puenzo par Livres-Addict.fr
"XXY" de Lucia Puenzo
Tout
de suite, on est saisi par une angoisse diffuse. Il règne une
atmosphère de conspiration. Retranché dans un village uruguayen, un
trio
(père, mère et fille adolescente) cherche à semer l'angoisse qui
taraude. Les parents couvent d'un oeil soucieux Alex, leur fille de 15
ans. Visage aigu d'écureuil, corps estompé, raclé de maigreur gracieuse
et étrangement fluide, celle-ci progresse par bonds et esquives, elle
scande le quotidien de ses apparitions furtives qui sont autant de
jaillissements fauves, de ses regards farouches, de ses déclarations
rageuses et lapidaires. Sa violence troue le temps et sidère ses
parents, les renvoyant au noeud obscur qui les travaille et enténèbre
leur visage. Pourquoi cette ride douloureuse qui barre leur front ? De
même, le corps d'Alex, noyé dans des vêtements informes, est l'objet
d'une attention intense et trop scrupuleuse. Cadré au plus près,
allongé nu sur son lit, le buste frêle, délicat autant que troublant de
la jeune fille dégage une force atomique mais aussi un sentiment
d'absolue déréliction. Peu à peu, le mystère est levé : Alex est née
hermaphrodite et contrainte de gober force hormones pour éviter que ses
caractères masculins ne s'inscrivent trop visiblement dans son corps.
Les parents ne parviennent pas à s'accommoder de cette différence,
qu'ils vivent sur le mode de la malédiction, du tabou insoulevable.
Souvent ils font allusion à un passé d'insupportables persécutions qui
les a acculés à fuir, à se replier dans ce trou perdu.
Alex, elle, sauvage, frontal et buté petit animal piaffe, renâcle, crache des salves d'injures et des vérités corrosives (à sa mère qui déclare avoir désiré une tripotée d'enfants, elle lance "Il faut croire qu'il y a quelque chose qui t'a fait changer d'avis en cours de route !"), elle ne veut plus s'entraver, elle cesse brusquement de prendre ses hormones...
Débarque un couple d'"amis" flanqué d'un adolescent efflanqué aux prises avec les disgrâces maximales de son âge, disgrâces dont Alex est absolument exemptée. Le père ami est un chirurgien expert, réputé pour sa dextérité... Faut-il et va-t-on trancher ? ... Tandis que les adultes rassemblés autour d'une table palabrent interminablement toujours en péril et en passe d'être aspirés par le trou noir du non-dit qu'ils tâchent soigneusement d'éviter, les enfants, eux, agissent. Entre Alex et le jeune homme (pourtant si peu favorisé) nait un trouble violent qui culmine dans une scène d'une saisissante crudité. Tombent les masques et les écailles sirénéennes. Frottant l'un contre l'autre leurs corps, pour l'un inachevé, pour l'autre amphigourique et surpeuplé, ils affûtent leurs désirs et précisent leur identité.
Autre point d'orgue du film : une scène d'une violence inouïe située sur la plage et au cours de laquelle les enfants du cru s'en prennent à Alex et s'acharnent sur elle avec une cruauté presque insoutenable. Mais les adultes ne valent pas mieux. Ils font des guides piteux, de piètres modèles. Captifs de leurs craintes et de leur conformisme, ils tergiversent, atermoient, ils s'avèrent parfaitement démunis face à la différence qu'ils n'envisagent de traiter que par l'amputation. Entre un père qui stigmatise l'homosexualité affleurante et le manque de brio de son fils avec des mots d'une dureté confondante et une mère qui ne songe qu'à normaliser sa fille, les adolescents sont bien mal épaulés. Seul le père d'Alex, écorché vaillant et chaviré, s'en tire honorablement avec son regard qui charrie tout un monde de lueurs sombrées.
Et puis il y a le personnage d'Alex (remarquablement interprété par une comédienne de 24 ans !) avec ce corps cristallin dont la beauté et la pureté sont à se damner, personnage qui ne cède rien sur son désir, qui entend assumer sa double appartenance et qui touche au sublime.
Un film qui remue, une inoubliable performance d'actrice, une figure qui bouleverse durablement.
BH 01/08